Un premier ministre - Stephen Harper - qui joue du piano? Un chef de l'opposition - Jack Layton - qui gratte sa guitare? Les Canadiens pourraient entendre une tout autre mélodie en provenance de la Chambre des communes sous peu si la tendance qui se dessine dans les sondages se maintient.

Une panoplie de sondages publiés cette semaine démontre que les conservateurs de Stephen Harper se dirigent vers une autre victoire aux élections du 2 mai. Il reste à savoir s'ils obtiendront une majorité des 308 sièges aux Communes ou s'ils devront se contenter d'un troisième mandat minoritaire consécutif.

Ces mêmes sondages confirment aussi une montée spectaculaire du NPD dans les intentions de vote. D'abord perceptible au Québec depuis les débats des chefs, cette ascension du NPD se répand maintenant dans les provinces atlantiques, en Ontario et en Colombie-Britannique.

De quoi faire rêver les stratèges néo-démocrates de supplanter le Parti libéral non seulement dans les intentions de vote pour la première fois de l'histoire de leur parti, mais d'obtenir aussi plus de sièges que les troupes de Michael Ignatieff aux Communes.

Reléguer le Parti libéral - le parti qui a dirigé le pays durant la majorité du dernier siècle - au troisième rang aux Communes serait un exploit historique pour le NPD, toujours habitué au rôle de conscience sociale du Parlement depuis sa fondation il y a 50 ans.

Ce scénario, impensable au début de la campagne, est maintenant envisageable selon le sondage Ipsos Reid publié hier. Ce coup de sonde accorde 43% des intentions de vote au Parti conservateur, 24% au NPD et 21% au Parti libéral. D'autres sondages (la firme Nano et EKOS) indiquent que le NPD et le Parti libéral sont tout près l'un de l'autre dans la faveur populaire à l'échelle du pays à une dizaine de jours du scrutin.

La firme EKOS ose même prédire que le NPD peut espérer remporter une soixantaine de sièges si la tendance se maintient jusqu'au 2 mai - un gain important par rapport aux 37 sièges remportés au scrutin d'octobre 2008. Une telle récolte pourrait lui permettre d'occuper les banquettes de l'opposition officielle pour la première fois de son histoire.

Tirs groupés sur le NPD

Au Québec, le NPD semble être en voie de devenir le parti rassemblant les forces de gauche qui s'oppose aux politiques du gouvernement conservateur de Stephen Harper. La montée du NPD fait non seulement mal au Bloc québécois, mais aussi au Parti libéral. Les troupes de Jack Layton gagnent en popularité chez les électeurs francophones qui déterminent le gagnant dans la majorité des circonscriptions du Québec.

À voir la réaction du chef du Bloc québécois Gilles Duceppe depuis une semaine, il est clair que le NPD est le principal adversaire qui pourrait empêcher le Bloc de maintenir sa mainmise sur la majorité des sièges au Québec. De passage à Val-d'Or, hier, il a décrit le NPD comme «un mirage».

Depuis hier, les autres partis semblent aussi constater que le NPD a le vent en poupe. Le Parti libéral a passé au peigne fin la plateforme néo-démocrate et prétend qu'il y a un trou financier de 3,6 milliards en 2011-2012.

Le Parti conservateur, qui pourrait perdre des sièges au NPD en Colombie-Britannique, a pour sa part lancé une nouvelle vague de publicités en anglais attaquant les troupes de Jack Layton.

Si la tendance dans les sondages se confirme et le NPD met la main sur quelques sièges au Québec, les résultats des élections du 2 mai donneront lieu à un réalignement politique sans précédent dans la Belle Province. Mais l'échiquier politique canadien sera aussi chamboulé.

Une défaite historique du Parti libéral forcera sans doute les bonzes du parti de Wilfrid Laurier, Pierre Trudeau et Jean Chrétien à envisager l'impossible pour reconquérir le pouvoir: une fusion avec le NPD. À défaut de quoi le Parti conservateur pourrait devenir le «Natural Governing Party» du présent siècle, un titre qui a appartenu au Parti libéral au dernier siècle.

L'an dernier, Jean Chrétien s'est fait le porteur de cette option avant qu'elle ne soit catégoriquement rejetée par Michael Ignatieff. M. Chrétien a en même discuté en privé avec l'ancien chef du NPD, Ed Broadbent.

Pour donner un nouvel élan à sa campagne, le chef libéral a appelé en renfort l'ancien premier ministre Paul Martin la semaine dernière. La semaine prochaine, ce sera au tour de Jean Chrétien de lui donner un coup de pouce à Toronto.

Fin renard, le p'tit gars de Shawinigan, qui a mené les libéraux à trois victoires majoritaires de suite en 1993, 1997 et 2000, sera peut-être alors tenté de relancer l'idée d'unir les forces du Parti libéral et du NPD pour déloger les conservateurs du pouvoir un jour.