Pour protester contre le mode de scrutin actuel, des sites internet proposent aux électeurs d'utiliser leur vote de façon stratégique allant même jusqu'à l'échanger avec celui d'un illustre inconnu.

L'idée fait de plus en plus jaser sur les réseaux sociaux. Jusqu'à maintenant, près de 5000 électeurs se sont dits prêts à échanger leur vote avec celui de quelqu'un d'autre. Une sorte de vote stratégique qui, clame Pair Vote, pourrait leur donner la possibilité d'influencer les résultats dans des circonscriptions où il y a une lutte entre les candidats. Ainsi, un partisan du Parti vert résidant dans la circonscription d'Outremont pourrait échanger son vote avec celui d'un libéral de la circonscription de Saanich-Gulf Islands, en Colombie-Britannique, où Elizabeth May tente d'obtenir pour la première fois un siège à la Chambre des communes.

«C'est un vote hyperstratégique, observe un des porte-parole de Pair Vote, Jean Le Clerc. Ce n'est pas toujours évident de voter stratégique quand on est limité à sa circonscription. Le jumelage donne accès à un bassin beaucoup plus important de candidats. On peut aller voter là où ça fera vraiment une différence tout en gardant un vote pour un parti qui nous tient vraiment à coeur.»

En 2008, près de 6000 ont répondu à l'appel lancé par l'Ontarien Gerry Kirk, l'homme derrière Pair Vote. Environ 2800 d'entre elles avaient alors pu être jumelées. Cette fois, le site espère voir le nombre d'inscriptions doubler. «On s'attend à recevoir beaucoup d'inscriptions pendant la dernière semaine de la campagne», souligne Jean Le Clerc, un programmeur de l'Outaouais.

En 2008, Élections Canada a reconnu la légalité de l'échange de votes facilité par l'avènement de Facebook et de Twitter.

Projet Démocratie, le successeur de votezpourlenvironnement.ca lancé en 2008, adopte une approche plus traditionnelle. Formé d'une dizaine de personnes passionnées de sondages et de politique, le groupe invite les électeurs à voter de façon à barrer la route à un gouvernement conservateur majoritaire. Pour ce faire, le site publie des prédictions de vote pour les 308 circonscriptions du Canada. Ces prédictions sont principalement basées sur les résultats de 2008, sur les sondages et sur des informations obtenues par des observateurs sur le terrain.

Les deux organisations, qui sont sans but lucratif et comptent sur les dons de la population, se disent non partisanes. «La mention d'anticonservateur (qu'on retrouve sur le site de Pair Vote), c'est parce que c'est le parti au pouvoir, explique Jean Le Clerc. Notre objectif premier est d'avoir le plus grand impact possible pour atteindre notre but final qui est de rouvrir la discussion sur notre système électoral.»

Un impact sur le vote ?

De tels appels au vote stratégique peuvent-ils avoir un impact réel sur les résultats ? Les responsables de Pair Vote et de Projet Démocratie en sont convaincus. «Avec la Jack Mania, les choses changent rapidement au Québec, observe le porte-parole de Projet Démocratie, Christopher Majka. Il y a plusieurs circonscriptions où il y a une lutte entre le Parti conservateur, le Parti libéral, le Nouveau Parti démocratique et le Bloc Québécois. Dans ces cas, le vote stratégique peut avoir un impact.»

Pair Vote croit lui aussi à son influence sur les résultats du scrutin. Selon Jean Le Clerc, l'échange de votes a contribué à influencer les résultats dans deux comtés chauds en 2008, soit Edmonton-Strathcona et Esquimault-Juan de Fuca.

Le politologue de l'Université d'Ottawa Christian Rouillard est sceptique. «Ça va avoir, au mieux, un effet marginal, croit-il. Ça ne peut une faire différence que dans circonscriptions où les résultats sont extrêmement serrés. En théorie, au Québec, il y a peut-être trois circonscriptions où ça pourrait fonctionner. En pratique, ça ne fonctionne probablement pas du tout.»

Christian Rouillard souligne que rien dans la littérature des sciences politiques ne suggère que le vote stratégique a déjà eu un impact significatif quelque part.

Le principe d'honneur sur lequel est basé le système d'échange de votes entre les électeurs l'irrite également. «On ne peut jamais être sûr que ça a eu lieu, remarque-t-il. C'est un acte individuel dans un isoloir.»

Il appuie toutefois la position des deux sites internet sur la nécessité de réformer le mode de scrutin. «L'élément positif dans tout ce qu'ils disent, c'est de souligner que c'est criant la nécessité de changer notre mode de scrutin pour qu'on ait plus les distorsions qu'on connaît maintenant.»