Plusieurs médias ont publié, au cours des derniers jours, des câbles diplomatiques rendus publics par WiliLeaks. La Presse et CBC ont pour leur part eu un accès exclusif à des messages diplomatiques américains particulièrement critiques envers les chefs des principaux partis canadiens fédéraux. Nous vous en présentons ici un résumé.

Stephen Harper est un homme parfois borné et vindicatif; Michael Ignatieff manque d'énergie et de leadership; le parti de Jack Layton est une souris qu'on peut contenter avec des miettes; les députés bloquistes de Gilles Duceppe veulent siéger assez longtemps au Parlement pour toucher leur pension de vieillesse: les câbles diplomatiques de l'ambassade des États-Unis à Ottawa, obtenus par WikiLeaks, regorgent de propos acides envers les leaders et les partis politiques canadiens.

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Julian Assange, fondateur de WikiLeaks, a remis à La Presse 2833 câbles diplomatiques envoyés par les conseillers de l'ambassade américaine au secrétariat d'État, à Washington, de 2003 à 2010. Plusieurs d'entre eux ont été écrits par Terry Breese, numéro deux à l'ambassade à Ottawa.

Les câbles déclassifiés circulent sur l'internet depuis une semaine. Mais les plus secrets ont été remis en mains propres sur une clé USB à des responsables de CBC à Toronto. M. Assange a personnellement communiqué avec La Presse pour qu'elle puisse y avoir accès.

De nombreux câbles comportent la mention «Nonfor» (non foreign), c'est-à-dire qu'ils ne devaient pas être lus par des étrangers.

Chaque semaine, et presque chaque jour, les conseillers politiques de l'ambassade américaine envoient leurs commentaires sur l'actualité politique canadienne à leurs supérieurs au secrétariat d'État. Ils ne se contentent pas de rapporter ce qu'ils lisent dans les journaux: ils transmettent aussi les informations obtenues auprès de leurs sources confidentielles.

Les quelque 7000 pages de documents ne contiennent pas d'informations spectaculaires et ne semblent pas révéler de grands secrets pouvant mettre en péril la sécurité publique. En revanche, lorsque les diplomates expriment leurs opinions sans s'autocensurer, ils s'échangent des propos très crus. En Europe, les diplomates américains qualifient le président français Nicolas Sarkozy de politicien «susceptible» et le premier ministre italien Silvio Berlusconi de dirigeant «incapable et inefficace».

Au Canada, leurs commentaires les plus approfondis visent naturellement Stephen Harper, puisqu'il est le premier ministre, mais les diplomates égratignent aussi les autres leaders et partis politiques.

Stephen Harper

En novembre 2008, M. Harper avait tenté d'abolir le financement public des partis politiques, ce qui avait failli provoquer la chute du gouvernement minoritaire conservateur. Cet épisode a érodé sa réputation de grand maître en stratégie politique, indique Terry Breese dans un câble écrit le 2 janvier suivant.

«En surface, il (Stephen Harper) reste inflexible et sans regret, note M. Breese. Se fiant à un cercle extrêmement restreint de conseillers et à ses propres instincts, il a joué un grand jeu partisan, mais sa réputation d'homme décidé et perspicace a été entachée par son côté borné et vindicatif.»

M. Breese présente M. Harper comme un homme voulant exercer un contrôle absolu: «Une concentration très forte du pouvoir et un contrôle serré de l'information caractérisent le style de direction de M. Harper», écrit-il.

«M. Harper a centralisé les communications et la prise de décisions au sein du Bureau du premier ministre (BPM) à un niveau inégalé... Le "Centre" (le BPM et le Conseil privé) agit manifestement à titre d'arbitre même pour les décisions de routine... Les ministres sont tenus en laisse...

«De notoriété publique, il (M. Harper) est très dur envers son personnel et semble vouloir agir comme son propre stratège, tacticien et conseiller.» M. Breese note que M. Harper a déjà dit à un de ses adjoints qu'il aimait voir la «peur» dans les yeux des personnes voulant travailler pour lui. «Souvent décrit par les observateurs comme un homme qui se considère comme "le gars le plus intelligent dans la pièce", il a tendance à s'entourer de béni-oui-oui.»

Michael Ignatieff

M. Harper adore prendre ses adversaires par surprise, et cela semble en effet les déséquilibrer. Le 5 janvier 2010, l'ambassadeur américain en poste à Ottawa, David Jacobson, a souligné la faiblesse de Michael Ignatieff, chef du Parti libéral.

«La réponse timide des libéraux à la prorogation du Parlement, décidée par M. Harper à la fin décembre (2009), semble mettre en lumière un manque d'énergie et de leadership; Michael Ignatieff serait en train de prolonger ses vacances en France... Les libéraux n'auront pas la voie facile s'ils espèrent battre les conservateurs aux prochaines élections fédérales, que ce soit en 2010 ou en 2011.»

Dans un autre document secret, datant de 2009, l'ambassadeur américain cite des sources internes chez les libéraux, selon qui Michael Ignatieff est un autre chef qui n'écoute pas, comme c'était le cas de Stéphane Dion, son prédécesseur.

Jack Layton

L'année dernière, les diplomates américains ne s'étaient pas distingués des autres observateurs et n'avaient pas prévu la montée en force des troupes de Jack Layton. Ils considéraient les néo-démocrates comme du menu fretin. À l'époque du gouvernement minoritaire libéral de Paul Martin, un conseiller américain a comparé le NPD à «une souris qui a réussi à attirer l'attention des lions, tout en prétendant de façon candide pouvoir faire fonctionner le gouvernement» (27 avril 2005).

«Dans la bataille pour avoir l'appui des électeurs soi-disant progressistes, Layton s'est finalement présenté, lui et son parti, comme ayant du pouvoir et de l'influence à Ottawa... En sa qualité de plus petit parti, le NPD vit pour des petites victoires périphériques, et cela peut lui suffire», note un câble daté du 5 octobre 2007, alors que les conservateurs formaient à leur tour un gouvernement minoritaire.

Gilles Duceppe

Les diplomates américains ne se montrent guère plus tendres envers les bloquistes de Gilles Duceppe. Dans un câble daté du 22 avril 2009, l'un d'eux reprend à son compte l'opinion d'un chroniqueur canadien: «Les députés du Bloc québécois semblent attachés aux avantages et aux privilèges parlementaires, et semblent vouloir siéger assez longtemps pour réclamer au gouvernement des bénéfices et des pensions de vieillesse.»

La Presse a tenté de joindre l'ambassade américaine, hier, mais sans succès.