Dans sa plate-forme électorale, le Parti conservateur s'engage à couper les dépenses gouvernementales de 17 milliards, sans préciser lesquelles. De leur côté, libéraux et néo-démocrates axent davantage leurs promesses sur des programmes de dépenses. Couper ou dépenser : selon vous, quelle est l'approche la plus appropriée pour gouverner dans l'état actuel de l'économie canadienne ?

LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS. MAXIMUM DE 150 MOTS.

Martin Coiteux

Professeur au service de l'enseignement des affaires internationales à HEC Montréal



UNE CIBLE RÉALISTE ?



La situation économique du Canada est enviable par rapport à celle des autres pays industrialisés, grâce en partie à l'envolée du prix des matières premières que nous exportons.  Il y a néanmoins des nuages qui pointent à l'horizon, notamment en raison des difficultés budgétaires aux États-Unis et en Europe mais aussi des perspectives de hausses des taux d'intérêt. Dans ce contexte, le Canada a tout intérêt à réduire de manière responsable son déficit budgétaire. Les plateformes libérale et néo-démocrate rendront cette réduction plus difficile car elles contiennent toutes deux de nouvelles initiatives de dépenses récurrentes et impliqueront des hausses d'impôt qui nuiront à la croissance économique.  La plateforme conservatrice s'oriente vers des réductions d'impôts personnels, après élimination  du déficit.  Si cela peut apparaître souhaitable, il faut souligner que la cible de réduction des dépenses nécessaire à la livraison de cette promesse est agressive au point où on peut en questionner le réalisme.   Les conservateurs se donnent davantage que les libéraux et les néo-démocrates les moyens d'éliminer le déficit mais il leur sera difficile en pratique de livrer les baisses d'impôt personnel promises dans les délais promis.

Richard Vigneault

Consultant en communication et membre de l'Idée fédérale 



IMPOSSIBLE SANS MAJORITÉ 



Il semble que les médias s'intéressent plus à cette campagne que les Canadiens eux-mêmes. Les milliards ne leur font pas tourner la tête! On verra le 2 mai si cette désaffection se traduit par un faible taux de participation. Devant cette apathie, faut-il s'étonner que les prouesses dU Canadien de Montréal dans les séries éliminatoires modifient l'agenda de cette campagne?  Faut-il s'étonner que des milliards de coupes ou de promesses de dépenses ne représentent que des abstractions pour l'électeur? Il n'est pas dans la culture des conservateurs d'apporter des précisions sur leurs engagements. Pour être honnête, les autres partis sont également avares de détails sur le financement de leurs promesses. Au final, la concrétisation véritable des intentions de coupes ou de dépenses viendra avec la décision des électeurs de donner une majorité à un des deux grands partis. Il y a fort peu de chances qu'un gouvernement minoritaire, ou même une coalition, s'engage soit dans des coupes sombres, soit dans des dépenses somptuaires. Si les conservateurs se retrouvent encore minoritaires, il serait surprenant qu'ils trouvent les appuis nécessaires dans l'opposition pour couper 17 milliards, tout en achetant pour 35 milliards d'avions de combat.

Adrien Pouliot

Président de Draco Capital Inc., société d'investissement privée



DE QUOI ÊTRE SCEPTIQUE



Les dépenses de programmes du gouvernement fédéral ont explosé depuis 2001, passant de 130 milliards $ à 210 milliards $ en 2009, une augmentation de 60% en une décennie. Avec la récession, la dette fédérale a augmenté de plus de 100 milliards $ en seulement deux ans.  Le plan de retour à l'équilibre budgétaire se fonde en grande partie sur l'augmentation des revenus à la suite de la reprise économique.  Mais l'État fédéral devrait aussi ramener son niveau de dépenses là où il était avant l'orgie de dépenses effectuées  avec l'intention de contrer la récession (plusieurs économistes doutent d'ailleurs grandement de l'impact positif d'un tel plan sur la reprise).  Le premier ministre a donc bien raison de vouloir mettre le gouvernement fédéral obèse sur une cure de santé.  Mais on peut se permettre d'être sceptique quant à cette promesse faite en pleine campagne électorale. Historiquement, les augmentations « temporaires » de dépenses ont toujours fini par être permanentes, les groupes d'intérêts cherchant à protéger leurs acquis et à en obtenir d'autres, la bureaucratie étant toujours prête à écouter les groupes d'intérêt pour maintenir sa raison d'être et grossir et les politiciens voulant toujours attirer plus de votes.

Adrien Pouliot

Louis Bernard

Avocat, consultant et ancien haut fonctionnaire au gouvernement du Québec



SE FIER À LA PHILOSOPHIE DES PARTIS

Indépendamment des promesses précises qui ont été faites récemment, celles-ci permettent maintenant aux électeurs de mieux distinguer ce qui sépare les différents partis les uns des autres. Les conservateurs promettent moins de gouvernement, les libéraux autant de gouvernement et les néo-démocrates plus de gouvernement; quant aux bloquistes, ils continuent à s'inscrire dans une logique différente axée sur les intérêts du Québec. Chacun peut avoir son opinion sur ce qui correspond le mieux à ses intérêts individuels et collectifs. Mais on peut légitimement se poser certaines questions. Ainsi, comment justifier que le gouvernement conservateur avance d'un an l'atteinte du déficit zéro, à peine quelques semaines après avoir déposé son budget? Comment expliquer l'absence de politique énergétique par le Parti libéral qui avait fait de cette question son thème principal lors de la dernière élection il y a à peine deux ans? Comment expliquer que le NPD continue à se comporter comme s'il avait la moindre chance de former le gouvernement? En définitive, il vaut mieux se fier à la philosophie générale qui se dégage des promesses faites par les différents partis que sur le contenu de ces promesses elles-mêmes.


Pierre-Yves McSween

Comptable agréé et chargé de cours à HEC Montréal



CHOIX DE SOCIÉTÉ

La gestion de l'État, c'est comme la gestion des finances d'une famille, mais à plus grande échelle. Un des principes logiques de la gestion d'un budget est l'atteinte de l'équilibre.  On ne peut pas seulement demander au gouvernement canadien de nous endetter davantage collectivement, de façon perpétuelle, sans qu'il y n'ait parfois des surplus budgétaires dédiés au remboursement de la dette.  Avec ce principe de base, le reste des décisions de couper les dépenses ou de les augmenter tout en accroissant les revenus est davantage une question de choix de société et de conséquences à assumer. Logiquement, le gouvernement intervient dans les périodes de crises pour ensuite se retirer lorsque l'économie va mieux : un principe d'interventionnisme ponctuel.  Au niveau du Parti conservateur, il est possible de croire que la baisse du taux des sociétés de 16,5 % à 15 % était peut-être superflue pour assurer la compétitivité des sociétés canadiennes dans le contexte actuel. Ainsi, avant de sabrer dans les dépenses publiques de 17 milliards de dollars, il aurait peut-être été plus judicieux de ne pas réduire le taux d'imposition des sociétés. Au niveau du Parti libéral et du NPD,  ils proposent de dépenser davantage, tout en puisant davantage de revenus ailleurs (élimination de crédits d'impôts aux sociétés, hausse du taux d'impôt des sociétés, etc).  Comme disait Lavoisier, « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », notre système budgétaire ne fait pas exception, il faut faire des choix.

Pierre-Yves McSween

Mathieu Bock-Côté

Chargé de cours en sociologie à l'UQAM.



FREINER L'INFLATION DE L'ÉTAT



Deux registres de promesses: celles des conservateurs, fonctionnant à l'austérité budgétaire, et qui annoncent un gouvernement habile au scalpel pour dégraisser Ottawa. Celles des libéraux qui multiplient les promesses dépensières, sans égards, d'ailleurs, pour le champ de compétences qu'elles concernent. À gros traits, les premiers rêvent de retrancher des programmes et de redonner son autonomie à la société civile, et que les seconds souhaitent plutôt multiplier les interventions gouvernementales selon les revendications formulées par les nombreuses catégories de citoyens. Il y a là deux philosophies politiques contradictoires. Sans trancher entre elles, on reconnaîtra un fait: il y a une dynamique naturelle d'inflation de l'État dans les sociétés contemporaines, qui s'accompagne de leur bureaucratisation de plus en plus pesante. Personne aujourd'hui n'échappe vraiment au contrôle bureaucratique, qui remodèle les institutions sociales, en fabrique de nouvelles, ou cherche à piloter l'évolution des mentalités. Même les gouvernements les plus austères ne parviennent pas fondamentalement à faire régresser la bureaucratie même s'ils empruntent quelquefois la rhétorique d'un conservatisme fiscal musclé. Devant ce portrait, on peut en arriver à la conclusion suivante: celui qui promet de couper ne parviendra probablement qu'à ralentir un peu la bureaucratisation de la société. On ne devrait pas trop lui reprocher.

Mathieu Bock-Côté