Croyez-vous que les conservateurs feront élire un gouvernement majoritaire le 2 mai? S'ils devaient y parvenir, le Québec risque-t-il de se retrouver isolé à Ottawa?

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Marc Simard

Professeur d'histoire au collège François-Xavier-Garneau, à Québec



UNE BOULE DE CRISTAL EMBROUILLÉE



La récente percée du NPD dans les sondages rend la tâche d'analyste électoral difficile. Prédire le résultat des élections de lundi prochain s'apparente soudain à une forme de cartomancie. La question principale est la suivante : les intentions de vote à l'endroit du NPD se concrétiseront-elles dans les urnes? Dans plusieurs provinces, les électeurs semblent indécis et nombre d'entre eux paraissent à la recherche de changement, de sorte que le NPD devrait connaître une forte croissance alors que le PLC risque l'effondrement. Dans les Maritimes, le NPD et le PC devraient faire quelques gains aux dépens des libéraux. Au Québec, l'émergence du NPD coûtera plusieurs sièges au Bloc et au PLC, ce qui permettra aux conservateurs de sauver la mise. En Ontario, le NPD pourrait affaiblir les libéraux et remporter quelques batailles, ce qui favoriserait le PC dans la ceinture de Toronto. Dans les Prairies, pas de changement notoire, mais peut-être une poignée de gains pour le NPD. C'est en Colombie-Britannique que le PC joue le plus gros, car les troupes néo-démocrates pourraient y rafler le gros lot. En somme, deux hypothèses : 1) le NPD permet aux conservateurs de se faufiler dans plusieurs batailles à trois et de ressortir majoritaires; 2) les conservateurs demeurent minoritaires et le chef de l'opposition (et éventuel premier ministre dans une coalition) est Jack Layton. Le Québec isolé? Non, mais le Bloc marginalisé.

Mathieu Bock-Côté

Chargé de cours en sociologie à l'UQAM



MAJORITÉ INCERTAINE



Une majorité parlementaire conservatrice n'est pas impossible, mais elle est accrochée à des calculs stratégiques infiniment subtils dont le résultat est à peu près imprévisible. Les conservateurs ne semblent pas encore être le natural governing party du Canada. Leur incapacité à détourner vers eux une partie de l'électorat nationaliste québécois explique cette fragilité. Cela confirme l'échec relatif de la campagne conservatrice. Les conservateurs demeurent le parti du Canada anglais. Et la question nationale québécoise n'a pas encore tout à fait régressé au rang de question régionale secondaire. Évidemment, l'hypothèse de la coalition retrouve dans ce contexte toute son importance. Elle se pose de manière inédite depuis quelques jours et se posera encore plus difficilement lorsque se posera l'inévitable question de l'union de la gauche. L'ascension du NPD compromet l'hégémonie du PLC sur le progressisme pancanadien. Mais on voit bien mal ce dernier consentir à un rôle d'appoint dans une coalition progressiste, et encore moins dans un éventuel parti fusionné, d'autant plus qu'il représente effectivement un réservoir d'expérience politique bien plus considérable que le NPD. La guerre civile de la gauche canadienne vient de commencer. La droite a vécu la sienne pendant 10 ans. L'instabilité parlementaire a de l'avenir à Ottawa.

Mathieu Bock-Côté

Gaétan Frigon

Président exécutif de Publipage inc .et ancien président-directeur général de la Société des alcools du Québec et de Loto-Québec



GOUVERNEMENT MAJORITAIRE

Je crois que les conservateurs vont finalement faire élire un gouvernement majoritaire le 2 mai. En fait, comme il ne leur manque que 11 députés pour avoir une majorité, l'effritement du vote libéral et du vote bloquiste allié à la montée du NPD devraient leur donner les sièges dont ils ont besoin. Plusieurs candidats conservateurs vont se faufiler grâce à la division du vote entre les libéraux et le NPD. Et si cela arrive, le Québec ne sera pas plus isolé qu'il l'a été depuis 20 ans. En fait, il y a de fortes chances que le vote bloquiste baisse suffisamment pour que le reste du Canada y voit une baisse notable de l'option souverainiste. En ce qui a trait aux politiques de droite que les conservateurs feraient alors adopter, il n'y aura pas de surprise car ils ont mis cartes sur table. À titre d'exemple, ce sera la fin du financement public pour les partis politiques, la fin de l'enregistrement obligatoire des armes d'épaule et la continuité du développement des sables bitumineux. Ceux qui vont voter conservateur savent pour qui ils votent.

Gaétan Frigon

Richard Vigneault

Consultant en communication et membre de l'Idée fédérale 



LE QUÉBEC TROP IMPORTANT POUR ÊTRE ISOLÉ



Même s'il détenait une majorité écrasante sans le Québec, Stephen Harper fera tout pour que le Québec ne se sente pas isolé.  S'il a enfin sa majorité, Harper va vouloir rassembler, en contraste avec des oppositions qui divisent. Le gouvernement canadien ne pourrait se venger du choix des électeurs d'une province sans détruire le Canada. On verra le 2 mai si Jack Layton peut ravir l'opposition officielle à Michael Ignatieff.  Peut-il s'emparer d'un nombre de sièges significatif au Québec ? Ce résultat pourrait changer considérablement l'échiquier. Plusieurs voient d'un bon oeil la fusion du parti de Layton avec celui d'Ignatieff. Il s'agit  selon eux de la meilleure façon de former un centre gauche capable de faire barrage à la droite conservatrice.  Le taux de participation, la division du vote entre les partis d'opposition sont aussi des facteurs qui pourraient favoriser le gouvernement sortant, considéré comme la meilleure garantie de stabilité. Après tout, Stephen Harper n'a pas besoin d'une majorité écrasante pour crier victoire, sauf maintenir sa position dans l'Ouest, faire quelques percées en Ontario, sauver les meubles au Québec, récupérer Terre-Neuve et des sièges dans le reste des Maritimes. Il pourra alors laisser les oppositions s'entre-déchirer et se montrer magnanime.

Pierre Simard

Professeur à l'École nationale d'administration publique, à Québec



L'ÉTAT-NOUNOU



Les nombreux sondages publiés depuis une semaine montrent que le Parti conservateur est en voie de former le prochain gouvernement. Sera-il majoritaire ou minoritaire? Il est encore trop tôt pour se prononcer. Tout dépendra de l'Ontario et de la Colombie-Britannique. Comme la mode NPD semble se propager un peu partout au pays, elle pourrait priver les conservateurs d'une majorité en chambre. Quant à savoir si le Québec se retrouvera isolé à Ottawa... probablement! Mais cette marginalisation n'a rien à voir avec la déconfiture du Bloc québécois. Il faut cesser de croire que voter Bloc, c'est voter Québécois. Si les Québécois délaissent le Bloc au profit du NPD, c'est essentiellement parce que les valeurs identitaires les rejoignent de moins en moins. Toutefois, l'addition des intentions de vote à l'endroit du NPD et du Bloc annonce un Québec beaucoup plus à gauche que le reste du Canada. Les Québécois semblent disposés à délaisser le Bloc, mais ne seraient pas prêts à renier leur foi en l'État providence. On déboulonnera peut-être le mythe d'un Bloc défendant seul les intérêts du Québec à Ottawa, mais pas celui d'un État-Nounou veillant à notre bien-être.

Pierre-Yves McSween

Comptable agréé et chargé de cours à HEC Montréal



DEUX MOTS: BERNARD LORD 



Je ne crois pas que le gouvernement Harper formera un gouvernement majoritaire, mais si cela devait être le cas, le Québec ne devrait pas craindre d'être mis de côté. On a isolé la Belle Province en 1982, alors que le rapatriement de la Constitution canadienne s'est fait sans le Québec. Aucun premier ministre du Canada ne prendrait le risque d'opposer de nouveau le « ROC » au Québec, surtout pas à un moment où le Bloc québécois commence à perdre de son lustre. La multiplication des partis d'importance à Ottawa a permis la montée de positions plus éloignées du centre (d'où la montée du débat gauche-droite). Mais cette élection pourrait être déterminante pour un retour à une réalité plus conforme au parlementarisme de type britannique. Selon le scénario le plus probable, le Parti conservateur sera minoritaire. La voie sera alors ouverte aux tractations de fusion du NPD et du PLC pour créer un ralliement de la gauche à l'échelle du pays et l'articulation d'un « new deal » canadien. Voyant la montée en popularité du nouveau parti, conjuguée à l'affaissement du Bloc québécois, le PC se verrait dans l'obligation de revenir à la position plus « progressiste » des années Mulroney. Cela mettrait la table pour l'arrivée d'un conservateur très attendu de la branche plus progressiste du parti : Bernard Lord. Bernard Lord n'est pas seulement l'ancien Premier ministre du Nouveau-Brunswick, il est aussi un canadien bilingue, charismatique et respecté. Un candidat idéal susceptible d'attirer les votes du Québec et de l'Est du Canada tout en recentrant le discours de son parti sans s'aliéner l'Ouest canadien. Qui sait ? On assistera peut-être à un retour tout en douceur au bipartisme et à un débat sur la vision future du Canada pour ses citoyens.

Pierre-Yves McSween

Mélanie Dugré

Avocate



QUATRE 25 SOUS POUR UN DOLLAR

Cette question doit être répondue en temps réel puisque l'actuelle campagne électorale se déroule sur des sables mouvants, tout vulnérables que sont les différents chefs aux scandales et à l'effet des sondages. Le vent peut tourner à tout moment, d'un claquement de doigts. Ceci dit, un gouvernement conservateur majoritaire ne serait que la conséquence d'une courtisanerie efficace de la part des troupes de Stephen Harper. Les conservateurs ont présentement le regard séducteur et le ton mielleux quand  vient le temps de s'adresser aux Québécois. Après un éventuel mariage de raison, la province deviendrait sans conteste l'épouse laissée pour compte  et nous pourrions vite réaliser que cette débordante affection n'était en fait qu'un amour sans lendemain.

Cependant, la timide remontée des libéraux et l'engouement pour le NPD pourraient assombrir les aspirations de majorité des conservateurs.  Et si, comme je le crois, nous élisons à nouveau un gouvernement conservateur minoritaire, il y aura lieu de se demander si cette tendance à la division du vote ne serait pas devenue une arme de revendication et de contestation. Chose certaine, un constat s'imposera : 300 millions de dollars plus tard, nous aurons en définitive échangé quatre 25 sous pour un dollar.

Mélanie Dugré

Pierre Paquette

Candidat du Bloc québécois dans Joliette

SEULE FAÇON D'EMPÊCHER UNE MAJORITÉ



Lorsque les partis canadiens doivent choisir entre le Québec et le Canada, ils choisissent le Canada. Plus souvent qu'autrement, conservateurs, libéraux et néo-démocrates partagent la même vision : ils s'entendent notamment pour financer le projet hydroélectrique de Terre-Neuve, qui fera une concurrence déloyale au Québec, ils s'entendent pour créer une commission pancanadienne des valeurs mobilières à Toronto, évinçant ainsi le Québec du monde de la finance, et ils s'entendent pour voler les travailleurs en pillant la caisse d'assurance emploi. Par essence, un parti canadien doit faire passer les intérêts du Canada avant ceux du Québec. C'est tout le contraire pour le Bloc québécois, un parti consacré exclusivement à la défense des intérêts du Québec et à la promotion des valeurs québécoises. La seule manière d'empêcher une majorité conservatrice, c'est de s'unir pour faire obstacle à Stephen Harper. Au Québec, le seul parti capable de barrer la route aux conservateurs, c'est le Bloc Québécois. Et la seule manière de faire en sorte que le Québec ne soit pas isolé à Ottawa, c'est de voter pour le seul parti qui se tient debout et qui parle pour le Québec sans compromis.