Le président et chef de la direction de la firme d'ingénieurs BPR, Pierre Lavallée, attend des excuses du vérificateur général de Montréal, Jacques Bergeron.

Son rapport sur le contrat des compteurs d'eau contient, selon lui, des erreurs et des omissions que M. Lavallée a détaillées hier à La Presse.

En entrevue dans ses bureaux, il a dit que sa firme en a assez qu'on égratigne sa réputation dans le dossier des compteurs d'eau. La sortie de la chef de l'opposition officielle, Louise Harel, qui a dit en pleine campagne électorale que M. Lavallée avait trompé la population lors de sa présentation en avril dernier à l'hôtel de ville sur les compteurs d'eau, a été la goutte qui a fait déborder le vase.

BPR est cette firme qui travaille avec la Ville depuis 2005 pour planifier l'installation de compteurs d'eau dans les industries, les commerces et les institutions. Elle a obtenu de la Ville un contrat de surveillance des travaux qui devaient être réalisés par le consortium GÉNIeau.

«Les Montréalais n'ont pas été informés»

BPR a écrit une lettre à Jacques Bergeron dans laquelle elle lui fait plusieurs reproches. Le premier d'entre eux est d'avoir tu à la population que le contrat des compteurs d'eau, s'il représentait un coût de 618 millions, aurait permis, selon BPR, de réaliser en 25 ans plus d'un milliard d'économies.

«Le rapport omet la valeur ajoutée du projet, a dit M. Lavallée. Les économies reliées aux diminutions des pertes d'eau représentent 19,9 millions par an avant indexation, soit 955 millions sur 25 ans, auxquels il faut ajouter la valeur résiduelle des actifs ajoutés, soit 200 millions. Les Montréalais n'ont pas été informés de ces économies.»

BPR reproche aussi au rapport de Jacques Bergeron d'avoir sous-estimé les pertes d'eau du réseau de conduites montréalais, des pertes dues aux bris et aux fuites. «Il parle de 20 à 40% de pertes alors qu'au moins trois rapports déjà publiés parlent de plus que ça, que ça peut atteindre 50%, a dit M. Lavallée. Il aurait dû dire aux Montréalais que les 375 millions de m3 d'eau perdus chaque année valent près de 472 millions de dollars. Non seulement c'est énorme, mais c'est aussi un illogisme environnemental.»

Pierre Lavallée estime aussi que le vérificateur erre en rejetant le bien-fondé de l'optimisation du réseau (volet 2 du contrat) car dès le départ, les objectifs de la Ville étaient, a-t-il dit, d'établir un bilan de la distribution de l'eau et de réduire les bris mais aussi la production d'eau de 20%.

«Ce qu'il faut comprendre, c'est que c'est le volet 2 qui permet d'économiser de l'argent et donc de développer le volet 1, soit l'installation des compteurs d'eau», a dit M. Lavallée.

Il estime que les bris augmentent de façon exponentielle à Montréal et que le rapport Bergeron minimise le problème. Il croit qu'on se concentre sur le coût du projet, mais que plus on attend, plus il coûtera cher. Il croit aussi que la Ville ne peut se passer des services de BPR, car elle n'a pas les ressources pour remplir le mandat de la firme ni assez de temps pour former des employés.

«On va accompagner la Ville au début, si elle veut le faire à l'interne par la suite, a-t-il dit. Mais personne ne nous a dit qu'on devait débarrasser le plancher. Et si la Ville décide d'annuler notre contrat, ce n'était pas nécessaire d'attaquer notre réputation. Et de la part de Mme Harel de mettre de l'essence sur le feu.»

Hier soir, l'opposition officielle devait déposer une motion visant à annuler le contrat de BPR au moment d'aller sous presse.

Par ailleurs, l'École de technologie supérieure (ETS) n'a guère apprécié que M. Lavallée ait critiqué l'analyse technique réalisée par le chercheur hydraulicien Saad Bennis et son équipe de l'ETS, à la demande du vérificateur général. M. Lavallée a rétorqué qu'il reconnaît la compétence de son collègue Bennis (il est aussi hydraulicien), mais que celui-ci n'avait pas l'expertise requise en gestion de réseaux d'eau potable pour se pencher sur ce dossier, ni assez de temps pour l'exécuter et consulter tous les rapports opportuns.

«Je comprends la pression que M. Bergeron avait pour produire son rapport, a-t-il dit. Le travail à réaliser était surhumain. Le vérificateur aurait dû faire appel à des spécialistes en ce domaine, européens par exemple, s'il ne voulait pas avoir à faire de la traduction. Il y en a en France qui gèrent ces dossiers d'eau depuis des lustres. Les conclusions du rapport, du coup, sont fantaisistes.»

M. Lavallée regrette que le vérificateur général de Montréal, contrairement à l'usage en vigueur au Québec et au Canada, ait refusé, l'été dernier, de le rencontrer pour qu'il puisse présenter son point de vue. «Pourtant, après ma présentation d'avril, tout le monde me disait qu'on avait bien compris notre projet», a-t-il ajouté.

Pierre Lavallée a aussi dit qu'au Québec, on devrait faire en sorte que la qualité soit plus souvent mise de l'avant. «On réalise souvent des travaux avec la qualité minimale, a-t-il dit. En Europe, une station d'épuration, ça coûte plus cher mais ça dure plus longtemps. Et en plus, ici, on a un déficit d'entretien. Dans les années 80, Montréal était une référence pour l'entretien mais on a, depuis, réduit les budgets car on ne voulait pas augmenter les taxes... Heureusement, le fonds de l'eau a été créé. Mais on a du rattrapage à faire.»

Quoi qu'il en soit, Pierre Lavallée estime que le vérificateur général devrait reconnaître les erreurs du rapport, s'excuser, et que le dossier devrait être clos plutôt que de se diriger vers des avenues juridiques qui coûteront cher à tout le monde.

«Qu'il m'appelle, qu'il m'écrive et réponde à notre lettre, a dit M. Lavallée. Est-ce que j'ai tort? On n'est pas dans une guerre. Mais j'ai 2400 ingénieurs dont les mères se demandent s'ils travaillent pour des bandits. C'est déplaisant, d'autant plus que ce qui s'écrit, avec l'internet, ça se lit partout.»

BPR a en effet des bureaux à l'étranger, notamment en Europe.

Réponse du vérificateur

Hier, Jacques Bergeron a publié un communiqué de presse. Il y répond à BPR qu'il n'a trouvé dans la lettre que la firme lui a envoyée «aucun élément invalidant les conclusions et les recommandations du rapport», déposé au conseil municipal le 21 septembre.

M. Bergeron ajoute que «c'est avec le soutien d'une équipe solide dirigée par des professeurs universitaires chevronnés possédant une expertise reconnue dans le domaine de l'eau et dans la gestion de projets que le vérificateur général de la Ville a préparé son rapport. Cette collaboration s'est déroulée du début juin 2009 à la mi-septembre 2009, contrairement à ce qu'a laissé entendre BPR.»

Il ajoute que, dans le cadre du travail de préparation du rapport du vérificateur, «des représentants de BPR avaient été rencontrés».