Lorsqu'elle a annoncé le tracé du train de l'Est entre Mascouche et Montréal, l'Agence métropolitaine de transport (AMT) a bêtement stimulé la spéculation en refusant d'exproprier rapidement les terrains des futures gares, affirme un rapport obtenu par La Presse.

Cette annonce, faite en mars 2006, a fait augmenter le prix des terrains où l'on projetait de construire les 11 gares. À cause de la spéculation, les coûts d'acquisition seront deux fois plus élevés que ce qu'ils auraient dû être: environ 38 millions de dollars plutôt que 18.

«Des avis de réserve et/ou d'expropriation auraient dû suivre dans les quelques mois après [l'annonce de 2006] afin d'éviter l'augmentation du prix des terrains en conséquence de la spéculation qu'un tel projet pouvait susciter», note le rapport commandé par Infrastructure Québec et daté de décembre dernier.

«Mais aucun avis de réserve ni aucun avis d'expropriation n'a été enregistré avant 2009», souligne le rapport, rédigé par un évaluateur agréé, Norman Roy. L'AMT a acquis peu de terrains avant 2010.

«Elle (l'AMT) a cru pouvoir procéder par acquisition de gré à gré sur tout le tracé de la ligne, comme si la nature du projet n'était pas susceptible de créer des attentes auprès des propriétaires de terrains et comme si on avait le choix des terrains à acquérir une fois que le tracé et les sites sont annoncés et publicisés», poursuit M. Roy.

«Que l'expropriation n'ait pas été envisagée dès le début a été dommageable et a entraîné une augmentation des coûts d'acquisitions. Qu'on retarde encore aujourd'hui à exproprier est un risque d'augmentation des coûts dans l'avenir [...]. Il était prévisible que les gares deviendraient des pôles de développement, qu'elles susciteraient une augmentation de l'activité immobilière dans leur voisinage et que la valeur des terrains allait par conséquent augmenter autour.»

«Mais est-ce que l'institution qui va investir dans un projet majeur d'infrastructure doit acquérir les terrains nécessaires à ses installations à un prix qui inclut la valeur ajoutée par son projet même? Cela est inconcevable.»

Explosion des coûts

En juillet dernier, l'explosion des coûts du train de l'Est a poussé le gouvernement à suspendre le projet et à mandater Infrastructure Québec pour revoir ces coûts. Cet organisme a alors demandé à l'évaluateur Norman Roy d'examiner les acquisitions de terrains réalisées par l'AMT.

D'entrée de jeu, M. Roy note dans son rapport que l'AMT a répondu à ses demandes de renseignements avec beaucoup de réticence. Elle ne lui a pas transmis des données cruciales, comme des rapports d'évaluation et des réclamations.

M. Roy devait rendre son rapport le 17 novembre; l'AMT ne lui a remis que la veille les comptes rendus des réunions de son comité de coordination. Jusqu'alors, l'AMT lui disait qu'elle n'avait pu émettre rapidement des avis d'expropriation parce que l'emplacement des gares avait changé continuellement jusqu'en 2010.

C'était faux: ces comptes rendus montrent clairement que l'emplacement de la plupart des gares avait été choisi dès le lancement du projet, en 2006.

Ils révèlent aussi que, dès 2006, «la personne responsable des acquisitions [à l'AMT] recommandait de contacter le ministère des Transports du Québec (MTQ) pour enregistrer des réserves et initier le processus d'expropriation, mais qu'il n'y a pas eu de suite à cette recommandation de contacter le MTQ».

L'AMT n'a pas de pouvoir d'expropriation: elle devait donc en faire la recommandation au MTQ. Manifestement, la haute direction de l'Agence répugnait à recommander des expropriations. Selon le rapport, l'agence craignait de «froisser» les municipalités.

Elle craignait peut-être aussi d'offusquer les propriétaires des terrains. Des sources confidentielles ont dit à La Presse que Joël Gauthier, alors président de l'AMT, a rencontré des propriétaires derrière des portes closes. Ce n'était pourtant pas dans ses fonctions que de négocier l'acquisition de terrains.

En 2006 et 2007, M. Gauthier a rencontré à six reprises les représentants d'une société à numéros qui a d'importants projets de construction résidentielle près de la future gare de Terrebonne. Les négociations ont tellement traîné que le MTQ a fini par envoyer un avis d'expropriation en 2010.

Quand il a vu qu'on lui offrait 6$ le pied carré, le président de la société, Arthur Steckler, a réagi avec «colère», indique un récent jugement. Pourtant, le terrain était alors évalué à 1,36$ le pied carré. Mais M. Steckler voulait beaucoup plus: de 18$ à 20$ le pied carré.

Incompétence

«On peut se demander pourquoi les terrains requis n'ont pas fait l'objet de réserve, voire d'avis d'expropriation, dès le moment de l'annonce du projet en 2006», écrit l'évaluateur Norman Roy.

«Le projet a peut-être souffert d'une planification insuffisante», suppose-t-il. Il recommande que la gestion des dossiers soit «beaucoup plus rigoureuse».

«L'AMT devrait se doter de personnes compétentes en matière d'expropriation», conclut-il. Mais il est un peu tard puisque les prix des terrains ont déjà augmenté et que les dossiers d'acquisition sont désormais dans les mains du MTQ.