Saine prévoyance ou cynisme électoral? Le fait est que le premier ministre Charest a convié hier les Québécois aux urnes, cette fois le 8 décembre. Le Québec a besoin d'un gouvernement fort en cette période d'instabilité économique, a plaidé le chef libéral. Or l'adéquiste Mario Dumont et la péquiste Pauline Marois rappellent lui avoir offert leur collaboration pour traverser la crise. Et accusent M. Charest de ne penser qu'à ses propres intérêts.

À peine avait-il déclenché la campagne électorale de 33 jours et convié les électeurs aux urnes, le 8 décembre, que Jean Charest se trouvait sur la défensive, au centre du tir croisé de ses adversaires adéquiste et péquiste.Avec une campagne lancée en pleine tourmente économique, Jean Charest pense davantage à sa réélection qu'aux intérêts du Québec, accusent Mario Dumont et Pauline Marois.

Mais pour Jean Charest, le Québec a surtout besoin de «stabilité» pour faire face à la crise. Et pour y parvenir, il doit se doter d'un gouvernement majoritaire.

Selon M. Charest, les Québécois sont avant tout appelés à décider «à quelle équipe ils font confiance». Vaut-il mieux «demander aujourd'hui aux Québécois de se donner un gouvernement qui a un mandat clair, pour traverser cette tempête qui s'annonce», ou plutôt «risquer d'être forcé d'aller en élections par l'opposition, en plein coeur de la crise» ?

Avec un gouvernement minoritaire, l'enjeu n'est pas de savoir s'il y aura des élections, mais quand il y aura des élections, a-t-il insisté après avoir demandé au lieutenant-gouverneur Pierre Duchesne de dissoudre la Chambre.

Pour Jean Charest, la cohabitation ne peut pas fonctionner en période d'incertitude économique. «Il faut de la stabilité politique pour avoir de la prospérité économique; c'est ça le choix qui se pose». «On ne peut pas avoir trois paires de mains sur le gouvernail alors qu'il y a une tempête qui s'annonce», martèle le chef libéral.

En réplique, tout seul devant La Presse, Mario Dumont a taxé d'opportunisme la stratégie électorale des libéraux. Selon l'adéquiste, M. Charest a précipité le Québec en élections sous de «faux prétextes» et fait preuve de «cynisme» en lançant le Québec en campagne avec en poche les résultats des sondages.

Cette décision heurte de plein fouet la volonté des Québécois qui, de façon très majoritaire, ne souhaitaient pas d'élections. Au lieu de se retrouver en campagne, les députés devraient être au Parlement, «les manches retroussées, pour travailler», estime l'adéquiste.

Le plaidoyer de Jean Charest pour un mandat fort en période d'instabilité économique est «ridicule», poursuit le chef de l'opposition. Surtout, il fait des gorges chaudes du slogan libéral: L'économie d'abord. Oui. «Si c'était l'économie d'abord... on était prêts à l'Assemblée nationale à travailler sur l'économie. Si c'était l'économie d'abord, il aurait dû respecter ça. L'économie d'abord et les élections ensuite. Et là, ce n'est pas ça. Là, ce sont les élections d'abord et l'économie prend le bord.» M. Charest veut être seul à conduire l'autobus.

Mario Dumont compte souvent rappeler que les libéraux ont refusé de dévoiler l'ampleur des pertes de la Caisse de dépôt et placement, ainsi que les états financiers du gouvernement, véritable bulletin de santé de la situation financière du gouvernement. Comme Pauline Marois, M. Dumont a relevé que, mardi, le vérificateur général du Québec avait appliqué un coup fatal au déficit zéro que soutient avoir atteint le PLQ - selon Renaud Lachance, le déficit réel serait plutôt de 5,8 milliards. Or le cerbère des finances publiques n'a pu déposer en Chambre encore les comptes publics qu'il a fini de vérifier. «On peut simplement rappeler à la population le caractère irrespectueux d'un premier ministre qui à la fois dit aux gens qu'il veut une grande discussion sur l'économie, mais en même temps, cache les vrais chiffres», a lancé Mario Dumont.

«Des choses à cacher»

La chef péquiste Pauline Marois s'est elle aussi attaquée à la pertinence des élections. Si M. Charest a lancé si rapidement l'appel aux urnes, c'est parce qu'il a des «choses à cacher», estime Pauline Marois.

«Ce qu'il ne veut pas admettre, c'est qu'il y a un déficit et qu'il a mal préparé le Québec à faire face à la crise. Et c'est cet homme-là qui demande à la population de lui faire confiance?» lance Mme Marois.

Elle aussi a martelé qu'en l'absence des états financiers 2007-2008, le vérificateur général n'avait pu présenter son rapport sur les opérations du gouvernement, un document pourtant prêt, de l'aveu même de M. Lachance. Le vérificateur, a-t-elle insisté, a soutenu qu'à son avis, le gouvernement Charest violait la loi antidéficit et creusait un déficit budgétaire estimé à 5,8 milliards au 31 mars 2007.

«Pourquoi M. Charest a-t-il refusé de déposer les états financiers? Pourquoi a-t-il refusé qu'on ait un débat d'urgence sur l'économie à l'Assemblée nationale? Il n'a pas eu le courage de le faire. Dans ce temps-là, c'est parce qu'on veut camoufler certaines choses», a affirmé Mme Marois.

Un sondage CROP révélait fin octobre que 7 Québécois sur 10 étaient opposés à la tenue d'élections provinciales. «Je trouve extrêmement cavalière la façon dont Jean Charest agit actuellement. La population a clairement exprimé sa volonté qu'il s'occupe de la crise plutôt que d'aller en élections. Elle jugera sa décision le 8 décembre.»

Le PQ avait offert toute sa collaboration, pour trouver les solutions en cette période difficile. Comme Mario Dumont Mme Marois s'est moquée du désir du chef libéral d'être le seul à conduire le navire. «M. Charest est populaire, il n'a pas pris de décision. Quand il en prenait, personne ne voulait le voir et cela a donné un gouvernement minoritaire. Alors, imaginez s'il revient.»

Avec la collaboration de Denis Lessard