Au Québec, les politiciens sont en campagne électorale. Mais pas la population. Derrière le miroir sans tain des groupes de discussion, les stratèges des partis voient bien que les gens sont encore incrédules, sinon irrités, devant la perspective d'autres élections.

Aux bulletins d'information télévisés déboulent les dernières chutes boursières, les faillites de multinationales et les mises à pied. Puis arrivent les trois chefs québécois, venus d'une autre planète, qui arrosent les électeurs de promesses coûteuses.

Hier, Mario Dumont a déversé 340 millions pour les « aidants naturels » dans une cuisine d'Alma. Mme Marois n'était pas en reste avec des centaines de millions pour les garderies et les trains de banlieue. Jean Charest l'a imitée hier.

Cette semaine, à Québec, le chef libéral a même promis de faire un chèque pour qu'on hausse le sommet d'une montagne de Charlevoix afin qu'elle puisse accueillir les Jeux olympiques de 2018, 2020 ou 2022. Raël n'aurait pas désavoué cette prévoyance, lui dont le repaire en Estrie était fin prêt à recevoir ses visiteurs de l'espace.

Après une semaine de campagne, Mario Dumont s'inquiète visiblement de la torpeur des électeurs, il l'a dit hier. En fait, les trois campagnes se heurtent à l'indifférence. Et les « Johnny's Angels », Michelle Courchesne, Line Beauchamp et Monique Jérôme-Forget, qui commencent aujourd'hui leur tournée parallèle, n'ont rien pour enflammer les salles.

Depuis trois jours, Jean Charest et Pauline Marois semblent déjà s'échanger le ballon au-dessus de la tête du chef de l'opposition. En 2003, MM. Charest et Landry avaient « sorti » Dumont de leurs radars, mais seulement à mi-campagne. En 2007, c'est André Boisclair qui avait été poussé en touche... mais à quelques jours du vote seulement, tant la poussée de l'ADQ était inattendue. Maintenant, libéraux et péquistes, les « anciens partis », ont retrouvé leurs vieilles tranchées.

«Quand Pauline Marois gère... ça coûte cher!» a lancé Jean Charest. «Quand Jean Charest gère... ça dégénère!» a répliqué hier la chef péquiste.

M. Charest et Mme Marois se sont apostrophés toute la semaine. Une surenchère autour des « gâchis-dégâts » de l'un ou de l'autre.

Même si les politiciens s'époumonent, dans l'opinion publique, rien ne paraît bouger. On ne sent pas qu'une des trois campagnes s'envole. Les parcours des tournées sont évocateurs, toutefois : Mme Marois se concentre très clairement dans la grande couronne de Montréal, Montérégie-Lanaudière-Laurentides, comme prévu dans un document interne du PQ.

Mario Dumont a poussé une pointe en Outaouais, puis au Saguenay hier, mais il se rabattra sous peu dans la région de Québec et dans Chaudière-Appalaches - depuis le début de la campagne, une journée sur deux passe à protéger des acquis.

Malgré les sondages qui lui sont favorables, Jean Charest est dans une position chaque jour plus inconfortable. Cette semaine, son pari d'amener d'un coup de volant le débat sur l'économie paraissait bien douteux.

Comme la mayonnaise ne prend pas, qu'aucun enjeu ne domine la campagne, le débat des chefs risque d'être déterminant. Les libéraux ont avancé dans ces négociations avec une prudence obsessionnelle. Jean Charest n'a pas du tout aimé le rôle qu'on avait fait jouer à Stephen Harper, bombardé par les tirs croisés de ses adversaires au-dessus de la table de Stéphan Bureau.

Croiser le fer avec un adversaire est une épreuve... prévisible. Ces duels prennent vite l'allure, rassurante, de deux monologues. C'est bien différent dans une fusillade, quand les balles peuvent arriver de partout, n'importe quand.

C'est de santé dont le chef libéral s'est fait parler - un sondage Léger Marketing indiquait que la question était toujours au sommet des priorités. Or, il y a cinq ans, Jean Charest avait appelé les électeurs à justement évaluer son mandat à partir de sa gestion du problème de la santé. Les documents libéraux Réinventer le Québec, en 2002, puis Briller parmi les meilleurs, en 2004, promettaient de «réduire l'attente» et de «désengorger les urgences». Pourtant, l'épidémie d'influenza est à nos portes... et celles des urgences vont bientôt craquer. Le PQ a soutenu hier que l'on attend 6% plus longtemps aux urgences aujourd'hui qu'il y a cinq ans. Dans les Laurentides et Lanaudière, c'est 29 et 23% plus d'attente. Pour les interventions chirurgicales, les 28 000 personnes qui attendaient plus de six mois en mars dernier sont aujourd'hui 32 000.

Partout on manque tellement d'infirmières que celles qui sont en poste, au bout de leur rouleau, sont forcées de faire des heures supplémentaires.

Dans quelques semaines, il y aura 10 ans que Pauline Marois a été nommée ministre de la Santé. Elle y est restée deux ans. Pourtant, à en croire M. Charest, elle est encore responsable des problèmes du réseau. Le programme des mises à la retraite anticipée ne touchait que les employés admissibles à un départ dans les deux années suivantes - les infirmières qui en ont profité ont aujourd'hui 70 ans, a rappelé cette semaine Mme Marois.

Assez vite, les stratèges libéraux vont recommander à Jean Charest de mettre de côté le ton accusateur, les «quand Pauline gère, ça coûte cher», pour ramener un message plus positif. En 2007, il avait cru pouvoir tenir toute une campagne sur son bilan. Or, les gens votent pour ce qu'on leur promet, pas pour ce qu'ils ont déjà.

La crainte des libéraux, c'est de se faire définir par l'adversaire. Surtout, on craint de se voir taxer d'«arrogance». Le mot résonne fort dans les groupes de discussion des libéraux. Et c'est toute l'équipe qui doit faire preuve d'humilité ; Monique Jérôme-Forget a été forcée de s'excuser pour avoir traité de «con» François Legault, dans un autre échange féroce à la télé.

La campagne électorale n'a qu'une semaine, mais cela fait bien plus longtemps que les bulletins d'information parlent d'élections. Et les gens sont toujours aussi mécontents. Les radars libéraux voient bien que l'autocar de Jean Charest est en avance. Mais il roule sur des oeufs.