Richard Guay, le grand patron de la Caisse de dépôt, était si «fatigué» qu'à peine en poste, il a dû partir se reposer.

Dans les milieux financiers et même à l'interne à la Caisse de dépôt, personne ne croit vraiment qu'il pourra réintégrer ses fonctions le 10 décembre comme l'a soutenu le président du conseil d'administration Pierre Brunet.

Il a pris un mois de repos à partir du 12 novembre - en fait il était moins visible à la Caisse dans les deux semaines précédentes. «Il nous a dit qu'il revenait le 10 décembre... On n'a pas demandé à voir le papier du médecin, on n'a pas d'indications contraires», se contente-t-on de dire au ministère des Finances.

Mais de l'avis général, le poste qu'occupe M. Guay représente un tel stress que le gouvernement hésitera avant de lui confier à nouveau le volant. «Un départ pour épuisement, tous ceux qui ont géré du personnel savent que cela ne se règle pas en un mois», de laisser tomber une source au sein de la Caisse. Dans les milieux financiers à Montréal le départ de Richard Guay paraît acquis. On est convaincu que le conseil d'administration ne pourra lui confier à nouveau le gouvernail pour diriger un paquebot de 150 milliards de dollars de placements au beau milieu d'un marché boursier imprévisible.

Même le choix de sa date de retour, le 10 décembre, paraît surtout tomber à point pour Jean Charest. Deux jours après les élections, l'annonce d'un départ ou de la prolongation d'un congé ne pourrait mettre le gouvernement, nouvellement élu, dans l'embarras.

La tentation sera très grande pour faire de M. Guay le bouc émissaire des déboires de la Caisse en 2008. Comme bras droit d'Henri-Paul Rousseau, il était au coeur de la décision d'acheter des papiers commerciaux adossés à des actifs. Un départ annoncé : le gouvernement Charest s'en lave les mains, parlera de l'épisode Guay comme d'un dérapage malheureux, et son successeur apportera une ardoise vierge.

La Caisse détient 13 milliards de dollars de ces créances douteuses, le tiers de ces investissements viciés de tout le Canada. L'avantage financier d'acheter ces papiers commerciaux était bien mince par rapport aux autres produits disponibles, «même à la Caisse ils avaient des problèmes à nous expliquer comment fonctionnaient ces papiers commerciaux», confiait le responsable d'un organisme « déposant » à la Caisse. L'effondrement des marchés boursiers a touché tout le monde. Les PCAA sont l'apanage de la Caisse. Les autres fonds, la caisse des enseignants ontariens surtout, n'ont pas touché à ces

papiers contaminés.

La CDP donne encore régulièrement comme information à ses déposants qu'il faut s'attendre à un rendement négatif, entre moins 20 et moins 25 %, pour 2008.

Le conseil d'administration de la Caisse se réunit aujourd'hui sans M. Guay pour la première fois depuis sa nomination par intérim le printemps dernier - il avait été confirmé à la présidence de la Caisse début septembre. L'entente Crawford, sur le ré-étalement, sur huit ans, des papiers commerciaux a été repoussée à nouveau à une date indéterminée. La Caisse doit offrir environ 4 milliards de dollars en garantie, comme «coassurance» pour obtenir une entente sur le ré-étalement dont elle a un pressant besoin. Déjà elle a radié 15 % de la valeur de ces placements - mais certains organismes du gouvernement du Québec ont jugé plus normal d'en radier tout de suite 20 voire 25 %.

RRQ et REGOP

Pauline Marois et surtout Mario Dumont ont soutenu hier que les déboires de la Caisse de dépôt auraient un effet dévastateur pour les prestations de retraite des aînés. Selon Mme Marois l'impact se fera sentir davantage au niveau des cotisations que des prestations. La chef péquiste surtout promet de revenir chaque jour à la charge pour que la Caisse divulgue les rendements qui normalement ne seront connus qu'en février 2009.

La gouvernance de la Caisse a été revue, mais du point de vue de la transparence on est à l'âge de pierre. Le Régime de pensions du Canada divulgue ses résultats sur une base trimestrielle, a rappelé Mario Dumont au débat des chefs, mardi. M. Charest a rétorqué que la Caisse gérait des fonds privés - c'est vrai, mais très marginalement. On est bien loin de Teachers, la caisse des enseignants ontariens qui est un fonds totalement privé.

Il est clair que le gouvernement ne souhaite pas que ces très mauvaises nouvelles arrivent avant que les contribuables soient passés aux urnes.

Pour les régimes d'assurances dont les caisses sont gérées par la Caisse, il y aura un impact, bien plus pour les cotisants que pour les prestataires. Pour la Régie des rentes, il sera bien limité. La RRQ a un fonds de 35 milliards déposé à la Caisse. Même si les pertes oscillent entre 20 et 25 %, le régime public de rentes est calculé sur du long terme, la Bourse aura le temps de reprendre son souffle.

La Régie des rentes recueille actuellement auprès des prestataires plus d'argent qu'elle n'en verse aux pensionnés, 9 milliards contre 8 milliards. D'ici 2011, le sablier sera renversé, les déboursés dépasseront les entrées à cause du vieillissement de la population, et il faudra commencer à utiliser les fonds engrangés par la Caisse de dépôt. On espère qu'ils auront alors retrouvé leur niveau d'avant la crise financière.

Le gouvernement devait lancer une consultation cet automne sur les nouveaux niveaux de cotisation - on proposait de passer de 4,95 $ par 100 $ de salaire pour les employeurs et les salariés à 5,62$. Les problèmes de la Caisse de dépôt pourraient forcer une revue à la hausse de ces cotisations, au-delà de 6$, a soutenu un actuaire consulté par La Presse. Mais, même dans les couloirs de la Régie, personne ne parle de sabrer les chèques aux retraités.

Le portrait est différent pour les régimes privés administrés par la Caisse comme le Fonds de pension des employés de la construction ou le REGOP, celui des employés de l'État - 45 milliards. « Si la situation de cet automne se prolonge, tout le monde va en pâtir », a confié un représentant syndical au comité de gestion de ces fonds. «Il n'y a pas péril en la demeure», mais les employés auront le choix entre des hausses importantes de leurs cotisations qui sont déjà élevées ou une réduction des bénéfices, a expliqué un actuaire familier avec le REGOP.

D'autres déposants à la Caisse de dépôt seront plus durement touchés. La Commission de la santé et de la sécurité du travail a 11 milliards engrangés à la CDP. Pour la CSST, chaque cent de prestation fait entrer 10 millions dans les coffres. Il faudrait, théoriquement, augmenter d'un coup les cotisations de 25 cents, de plus de 10 %, pour compenser les pertes de la CDP, mais l'organisme peut aussi étaler dans le temps, sur 10 ans, le retour à l'équilibre pour son fond de stabilisation.