(Québec) Volte-face verte à la Coalition avenir Québec (CAQ) : le gouvernement Legault a l’intention d’augmenter les redevances dérisoires imposées aux industries pour l’utilisation de l’eau. Moins de 3 millions de dollars ont été payés l’an dernier pour avoir pompé de l’or bleu pour l’équivalent de 232 000 piscines olympiques.

À la toute dernière semaine de la session parlementaire, à moins de trois mois de la campagne électorale, le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, déposera un projet de loi visant à instaurer un processus de révision des redevances sur l’eau. Il s’engagera à les rehausser au terme de cette révision, sans donner de chiffres pour le moment, selon des sources sûres.

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Benoit Charette, ministre de l’Environnement

Faute de temps, le projet de loi ne pourra être étudié et adopté cette session-ci. Cela deviendra donc une promesse électorale de la CAQ, qui la concrétisera si elle est réélue.

Depuis le début de son mandat, et encore récemment, le gouvernement Legault avait pourtant écarté l’idée d’augmenter les redevances sur l’eau malgré les pressions des partis de l’opposition.

Avec le changement de cap de la CAQ, ce sont maintenant les quatre principaux partis à l’Assemblée nationale qui promettent de revoir les redevances à la hausse.

Ce n’est donc qu’une question de temps avant que cela se produise.

Les redevances sur l’eau n’ont pas changé depuis qu’elles ont été instaurées à la fin de 2010 sous le gouvernement Charest. Elles visent les industries qui prélèvent ou utilisent 75 000 litres et plus par jour, directement dans la nature (eau de surface ou souterraine) ou à partir des réseaux de distribution d’eau.

Un premier taux est fixé à 70 $ pour chaque million de litres d’eau prélevé par les embouteilleurs d’eau, les fabricants de boissons, de béton, d’engrais agricoles et de produits chimiques, notamment. Un deuxième taux s’élève à 2,50 $ par million de litres d’eau pour les autres secteurs (pâtes et papiers, minières, alumineries et industrie alimentaire, par exemple).

Ces redevances étaient les plus élevées au Canada au moment de leur adoption. Or, elles sont jugées dérisoires depuis maintenant plusieurs années.

En Ontario, le premier taux est sept fois plus élevé (503,71 $) alors que le second atteint 3,71 $. Ils ont été revus il y a cinq ans.

L’an dernier, les industries et les entreprises ont payé 2,8 millions de dollars pour des prélèvements d’eau de 811 milliards de litres, selon un document du ministère de l’Environnement déposé à l’Assemblée nationale lors de l’étude des crédits budgétaires au printemps. C’est l’équivalent de 232 000 piscines olympiques – chacune contient environ 3,5 millions de litres d’eau. Cela revient à 12 $ par piscine olympique ou 0,0000035 $ par litre d’eau.

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Les redevances sur l’eau n’ont pas changé depuis qu’elles ont été instaurées à la fin de 2010.

En tenant compte des autres secteurs qui prélèvent de l’eau (municipalités, entreprises agricoles et piscicoles, notamment), le ministère de l’Environnement précise que 2368 milliards de litres ont été pompés l’an dernier – soit une fois et demie le lac Memphrémagog.

Conversion tardive

Le dossier des redevances avait donné du fil à retordre à la CAQ lors de la campagne électorale de 2018. Le député François Bonnardel avait déclaré que la CAQ allait rehausser les redevances, un engagement que François Legault avait écarté quelques jours plus tard. « Ce n’est pas dans notre programme d’augmenter les redevances de l’eau », avait affirmé le chef caquiste. Pourquoi ? « On ne veut pas indirectement augmenter le prix aux consommateurs » sur les bouteilles d’eau et les boissons gazeuses. « On a pris l’engagement de ne pas augmenter les taxes, les tarifs, les impôts de plus que l’inflation », ajoutait-il.

Les partis de l’opposition reprocheront assurément au gouvernement sa conversion tardive. Pas plus tard qu’en février, la députée libérale Isabelle Melançon lui avait demandé, en vain, d’inclure la révision des redevances dans sa loi omnibus en environnement, qui a été adoptée deux mois plus tard. Son amendement visait à « mettre à jour régulièrement les redevances exigibles pour l’utilisation de l’eau afin que leurs taux reflètent la valeur du marché ». Les caquistes l’avaient rejeté.

« Ce n’est pas le bon projet de loi pour ce type d’amendement, ce qui n’empêche en rien de reconnaître naturellement l’importance de l’eau comme richesse pour le Québec », plaidait le ministre Benoit Charette.

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Isabelle Melançon

Le ministre a eu trois années pour revoir les redevances sur l’eau et ne l’a pas fait. On est encore assis sur nos mains, on regarde les compagnies venir pomper notre eau, puis on ne fait rien !

Isabelle Melançon, députée libérale, le mois dernier

Mme Melançon a souligné que l’Italie exigeait 2000 $ par million de litres et le Danemark, 10 000 $.

Le Québec possède 3 % des réserves mondiales d’eau douce avec son trésor de lacs et de rivières.

« L’abondance de la ressource fait qu’à la longue, on en perd peut-être un petit peu la notion de sa valeur », soutenait le député péquiste Sylvain Gaudreault lors des débats sur cet enjeu. « Il faut accroître les redevances de façon très importante. Ce n’est pas des multinationales qui exploitent notre eau qui vont me faire pleurer, [elles] qui profitent de la vente, par exemple, d’eau embouteillée, alors qu’on peut avoir une eau d’une excellente qualité dans la très grande majorité des municipalités du Québec juste en ouvrant le robinet. C’est assez préoccupant, tout ça. »

Secret commercial

Des organismes environnementaux ont tenté en vain de lever le voile sur le nombre de litres d’eau prélevés au Québec par les entreprises qui la revendent en bouteille comme Coca-Cola, Pepsi, Naya et Eska. Dans une décision rendue en mai, la Cour du Québec a donné raison aux embouteilleurs en confirmant que ces informations sont protégées par le secret commercial. Le recours était intenté par Eau Secours et le Centre québécois du droit de l’environnement, qui contestaient une décision du ministère de l’Environnement et de la Commission d’accès à l’information.

Le 1er juin, premier jour du Mois de l’eau, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité une motion demandant au gouvernement « d’étudier la possibilité de modifier le cadre juridique », puisque « la gestion durable de l’eau repose sur la transparence » et « l’accès du public aux données ».

Avec la collaboration de Denis Lessard

Top 5 des secteurs paient le plus de redevances

Usines de pâtes et papiers

898 000 $

Fabrication de boissons

388 000 $

Fabrication de produits chimiques de base

371 000 $

Extraction de minerais métalliques

210 000 $

Sidérurgie

171 000 $