Le gouvernement Trudeau envisage d’imposer une limite au taux de contaminants contenus dans les matières recyclables dangereuses importées au pays, ce qui pourrait avoir pour effet de réduire les rejets d’arsenic de la Fonderie Horne de Rouyn-Noranda.

Le ministère fédéral de l’Environnement et du Changement climatique a publié un appel d’offres pour obtenir « une expertise scientifique et technique » sur la question, le 20 octobre dernier.

Ottawa souhaite ainsi « déterminer si des substances spécifiques ont un lien avec des déchets, des matériaux recyclables ou des produits en fin de vie [et] valider ou établir et recommander des seuils limites pour [ces] substances », détaille le document.

« La Fonderie Horne est à l’évidence concernée », estime Philippe Ouzilleau, professeur adjoint spécialisé en génie métallurgique à l’Université McGill, qui relève que l’appel d’offres mentionne comme matières recyclables pouvant contenir des contaminants « les déchets électroniques, les piles, les appareils électroniques », que l’entreprise appartenant à la multinationale Glencore recycle.

L’appel d’offres souligne également que les substances dangereuses à étudier peuvent être importées sous forme « solide » ou de « boue ».

La fonderie traite beaucoup de déchets de boue dans ses réacteurs pyrométallurgiques.

Philippe Ouzilleau, professeur adjoint spécialisé en génie métallurgique à l’Université McGill

Aucune limite

Le Canada ne limite pas à l’heure actuelle les concentrations de différents contaminants, comme l’arsenic, contenus dans les matières recyclables dangereuses importées au pays – un permis d’importation est toutefois requis pour l’importation au Canada d’une matière contenant plus de 2,5 % (ou 2,5 milligrammes par litre) d’arsenic.

D’autres pays imposent pourtant de telles limites, comme la Chine, qui interdit une concentration d’arsenic supérieure à 0,5 % dans les matières importées, souligne Philippe Ouzilleau.

La Fonderie Horne reçoit des matières présentant des taux d’arsenic considérablement supérieurs ; elle a par exemple reçu d’un fournisseur non identifié 2246 tonnes de matières affichant une concentration d’arsenic de 19,7 %, en 2020, montrent ses données.

Lisez l’article « La Fonderie se bat pour la non-divulgation de documents »

Ces matières n’ont cependant pas nécessairement été importées, puisque 70 % des intrants traités à la Fonderie Horne proviennent du Canada, a indiqué l’entreprise à La Presse.

Sur les 30 % importés, les deux tiers viennent des États-Unis et le tiers restant provient du reste du monde, a précisé Cindy Caouette, porte-parole de l’entreprise.

Impact sur les rejets de la fonderie

Une éventuelle limite au taux d’arsenic contenu dans les matières recyclables importées par la Fonderie Horne ne permettrait probablement pas d’abaisser la concentration d’arsenic dans l’air à la norme québécoise de 3 nanogrammes par mètre cube (ng/m⁠3), estime Philippe Ouzilleau.

« Cependant, je crois que cela pourrait accélérer de manière significative l’atteinte [de la cible gouvernementale de] 15 ng/m⁠3 si cette mesure est combinée aux efforts […] en cours », dit-il.

Une telle limite aurait par ailleurs un impact financier pour la Fonderie Horne, estime M. Ouzilleau.

J’imagine qu’ils se font payer un bon prix pour débarrasser les entreprises de ces produits.

Philippe Ouzilleau

La Fonderie pourrait demander à ses fournisseurs de diluer leurs matières afin de respecter un seuil donné de contaminants, ce qui est courant dans l’industrie du cuivre, note le professeur.

« C’est une pratique qui fonctionne pour diminuer les émissions moyennes d’arsenic tant que le niveau moyen d’arsenic diminue dans le minerai », précise-t-il.

Or, « si vous diluez, vous augmentez le poids ; peut-être que ça devient drôlement moins rentable », postule l’avocat Philippe Biuzzi, du Centre québécois du droit de l’environnement.

Ottawa pourrait agir immédiatement

Le recours à une expertise externe démontre que les fonctionnaires fédéraux se questionnent sur leurs pouvoirs, estime l’avocat Philippe Biuzzi.

« S’ils font cet appel d’offres là, c’est que pour eux-mêmes, il y a des flous quant au pouvoir d’intervention de la réglementation et de la législation, actuellement », dit-il.

Pourtant, la Loi canadienne sur la protection de l’environnement leur donne toute la latitude nécessaire pour agir, estime-t-il.

« Si ce que le gouvernement veut, c’est aller mettre un seuil maximal, il peut le faire », tranche-t-il.

L’expertise recherchée s’annonce cependant difficile à trouver ; l’appel d’offres lancé en octobre par Ottawa en remplace un précédent, qui avait été annulé faute de soumissionnaires.

Le professeur Philippe Ouzilleau ne s’en étonne pas, soulignant qu’il pourrait être délicat pour une firme de génie-conseil détenant cette expertise de remplir un tel mandat, alors qu’elle pourrait avoir des contrats avec des entreprises concernées par une éventuelle limite.

Bien qu’il pourrait avoir un impact sur la Fonderie Horne, cet appel d’offres ne la vise pas « spécifiquement », a précisé à La Presse le cabinet du ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault.

Son ministère « continue d’examiner toutes les informations disponibles » afin de déterminer si d’autres mesures sont nécessaires, en ce qui concerne la Fonderie Horne, a déclaré son attachée de presse, Kaitlin Power.

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  • 793 718
    Tonnes de matières à traiter reçues
    par la Fonderie Horne en 2020
    Source : Fonderie Horne