Une centaine de scientifiques ont dévoilé jeudi en marge de la COP27, en Égypte, le plus récent bulletin de la planète face aux changements climatiques. Avec la reprise économique postpandémique, les émissions mondiales de CO2 ont grimpé de 1 % par rapport à 2021, alors qu’elles augmentaient en moyenne de 0,5 % par année depuis 10 ans.

Renverser la tendance

Le rapport intitulé Global Carbon Budget 2022 et signé par 106 scientifiques indique que les émissions de CO2 à la fin de l’année 2022 totaliseront 40,6 milliards de tonnes, tout près du record de 2019 à 40,9 milliards de tonnes. Le groupe de chercheurs internationaux s’inquiète notamment de constater que la hausse des émissions de dioxyde de carbone atteint 1 %, renversant ainsi la tendance établie depuis une décennie. « Entre 2000 et 2010, les émissions augmentaient très, très rapidement, de 3 % par année. On était dans une pente vraiment accélérée, rappelle Corinne Le Quéré, professeure de sciences du changement climatique à l’Université d’East Anglia, au Royaume-Uni, et coauteure du rapport. On a réussi avec les politiques climatiques à réduire la pente à 0,5 %, mais on est encore dans une trajectoire d’augmentation. Il faut que la trajectoire diminue, mais on doit aussi l’amener jusqu’à zéro. Il y a urgence. »

La faute aux énergies fossiles

Sur les 40,6 milliards de tonnes de CO2 qui auront été envoyées dans l’atmosphère d’ici la fin de l’année, 36,6 milliards de tonnes proviennent des énergies fossiles. Celles-ci ont littéralement explosé au cours des 60 dernières années, passant de 9,3 milliards de tonnes en 1960 à plus de 36 milliards de tonnes en 2022. À l’inverse, les émissions issues de la déforestation et du changement d’affectation des terres affichent une tendance à la baisse. Elles pointent à 3,9 milliards de tonnes en 2022, soit 9,6 % des émissions totales de CO2. Le constat est clair comme de l’eau de roche : sans une réduction draconienne des émissions provenant des énergies fossiles, point de salut. « La production d’énergie à base d’hydrocarbures, c’est le nerf de la guerre », rappelle Annie Chaloux, professeure à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke.

Une piste extradifficile

À l’image du skieur qui emprunte une piste cotée avec deux losanges noirs (double diamond en anglais), la route vers la carboneutralité en 2050 s’annonce périlleuse, rappelle le rapport. Les scientifiques signalent qu’il faudra réduire les émissions mondiales de CO2 de 1,4 milliard de tonnes par année au cours des 27 prochaines années. Un effort annuel qui équivaut à la réduction d’émissions constatée en 2020 en raison des mesures de restrictions sanitaires. Au rythme actuel, le budget carbone nécessaire (380 milliards de tonnes) pour limiter le réchauffement à 1,5 degré sera dépassé dans neuf ans, note le rapport. « Si ça continue comme ça, on est dans des projections qui sont bien au-dessus de 2 degrés, affirme Corinne Le Quéré. Quand on pense qu’à 1,1 degré jusqu’à maintenant, ça cause des dommages maintenant visibles, donc ça va s’empirer. »

Quelques notes d’espoir

Le rapport Global Carbon Budget 2022 contient tout de même quelques bonnes nouvelles. On y précise que 24 pays ont réussi à réduire leurs émissions de CO2 entre 2012 et 2021. Par ailleurs, à la fin de 2022, la Chine aura réduit ses émissions de 0,9 % alors qu’elles augmenteront de 1,5 % aux États-Unis. L’Union européenne, malgré la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine, réussira à diminuer ses émissions de 0,8 %. À l’opposé, l’Inde affichera une hausse de 6 %. « On voit des progrès importants, mais ce qui est frustrant, c’est que l’ampleur des enjeux n’est pas reconnue. L’ampleur de la réponse nécessaire n’est pas reconnue. On n’est pas au niveau », souligne Corinne Le Quéré. Annie Chaloux ajoute de son côté « qu’on doit voir des changements structurants » pour arriver à des résultats. « Mais ce n’est pas ce qu’on voit en ce moment. »

L’ultime outil de mesure

À la fin de l’année, la concentration de CO2 dans l’atmosphère pointera à 417,2 ppm (parties par million), précise le rapport. Or, selon le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), celle-ci ne doit pas dépasser les 350 ppm afin de limiter le réchauffement à 1,5 degré d’ici la fin du siècle. Rappelons que selon les scientifiques, il faut remonter plusieurs millions d’années dans le temps pour retrouver une concentration supérieure à 400 ppm dans l’atmosphère terrestre. Cette limite a de nouveau été franchie en 2013. Les pays les plus riches ont d’ailleurs largement contribué à ce phénomène depuis l’ère préindustrielle. Ils doivent donner l’exemple, souligne Annie Chaloux, notamment en faisant preuve de « sobriété énergétique ». « On fait des choses dans les marges, on ne fait pas des choses à la hauteur des enjeux », conclut de son côté Corinne Le Quéré.

Consultez le rapport (en anglais)
En savoir plus
  • 58 %
    Plus de la moitié (58 %) des émissions de CO2 issues de la déforestation et du changement d’affectation des terres proviennent de l’Indonésie, du Brésil et de la République démocratique du Congo.
    Source : Rapport Global Carbon budget 2022
    1,7 %
    Si on exclut la Chine, les États-Unis, l’Union européenne et l’Inde, les émissions de CO2 auront augmenté de 1,7 % dans le reste du monde en 2022, une hausse supérieure à la moyenne mondiale de 1 %.
    Source : Rapport Global Carbon budget 2022