Comment mesurer son empreinte écologique ? Le manque d’information est un obstacle pour les consommateurs. Dans un essai qui a remporté un prix de l’École de la fonction publique du Canada, une étudiante de l’Université Laval suggère d’apposer des étiquettes environnementales sur les aliments. Une idée qui plaît à de nombreux experts.

L’idée soumise par Lydia Laflamme est fort simple : intégrer des informations sur l’empreinte environnementale aux étiquettes des produits alimentaires. L’étudiante à la maîtrise en science politique suggère de profiter de l’entrée en vigueur, en 2026, de nouvelles règles de Santé Canada. L’industrie alimentaire devra alors apposer une étiquette sur le devant de l’emballage indiquant les valeurs en sodium, en sucre ou en gras trans.

Pourquoi ne pas ajouter que 1 kg de fromage, par exemple, représente en moyenne 5,3 kg d’équivalent CO2, selon des calculs réalisés par des scientifiques canadiens en 2013 ? Et que 1 kg de pois chiches représente de 0,20 à 0,33 kg d’équivalent CO2, d’après Agriculture et Agroalimentaire Canada (2011) ?

« C’est une bonne idée. C’est même fondamental qu’on avance dans cette direction », lance Luciano Barin Cruz, professeur à HEC Montréal et spécialiste des questions de transition et de développement durable.

Selon lui, il est difficile pour les consommateurs d’agir face à un concept abstrait s’ils n’ont pas l’information pour comprendre. « [Une étiquette] permettrait de commencer à avoir de l’info. Les gens sentiraient qu’ils peuvent agir avec leur consommation. Ça donne un pouvoir d’action aux citoyens », précise-t-il.

« Nécessité d’innover »

Lydia Laflamme a remporté le 10concours national d’essais universitaires organisé par l’École de la fonction publique du Canada. L’exercice lui a permis de concilier son principal champ de recherche, la méthode expérimentale en administration publique, avec son intérêt pour les questions environnementales.

La nécessité d’innover dans les politiques publiques pour lutter contre les changements climatiques a popularisé la méthode expérimentale, aussi appelée gouvernance expérimentale dans le champ de l’administration publique.

Lydia Laflamme, étudiante à la maîtrise en science politique à l’Université Laval, dans son essai

Une telle idée n’est pas complètement nouvelle. « L’alimentation des citoyens est un sujet délicat qui peut susciter des réticences à intervenir chez les décideurs publics, précise-t-elle. L’introduction de politiques publiques informatives et comportementales, donc visant à influencer le comportement des citoyens sans contraintes directes comme la taxation, fait partie des recommandations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans le thème des systèmes d’alimentation. »

« C’est certain que ça va être complexe »

Si l’idée est plutôt simple, Lydia Laflamme reconnaît que sa mise en application pourrait se heurter à des obstacles. « C’est certain que ça va être complexe, surtout pour les produits transformés », admet-elle entrevue avec La Presse.

Après l’alimentation, l’idée pourrait être mise en pratique dans d’autres secteurs, comme l’industrie automobile ou l’industrie du textile, croit Luciano Barin Cruz. « J’ai besoin de plusieurs chemises pour mon travail et j’aimerais connaître l’empreinte écologique pour faire mes choix », par exemple.

Yves-Marie Abraham, lui aussi professeur à HEC Montréal, salue l’idée, puisqu’elle « favoriserait une consommation alimentaire plus écoresponsable ». « Ça permettrait de faire des choix plus éclairés plutôt que de contraindre les gens. Je trouve ça plutôt positif. »

Il croit cependant que « les effets d’une telle mesure seraient très insuffisants ». « On n’a aucune idée des impacts des choix les plus anodins que nous faisons. […] On a un mode de production qui consomme énormément de ressources. C’est tout un système de production qu’il faut changer », affirme le professeur qui s’intéresse à la sociologie et à l’anthropologie de l’économie ainsi qu’à la décroissance.

Une forme de culpabilisation pour le public ?

Pour Luciano Barin Cruz, si une telle idée présente un grand intérêt, il n’en demeure pas moins qu’il y a de nombreux défis à relever. L’une des principales difficultés, c’est qu’il n’existe pas de standards ni de méthodes de calcul sur lesquels tout le monde s’entend pour mesurer l’empreinte écologique.

On parle beaucoup des émissions de CO2, mais il y a aussi le méthane et les impacts sur la biodiversité. Comment on calcule ça ?

Luciano Barin Cruz, professeur à HEC Montréal et spécialiste des questions de transition et de développement durable

Dans son essai, Lydia Laflamme suggère d’indiquer les empreintes en eau, en carbone et en azote sur les étiquettes des aliments, fait néanmoins remarquer Yves-Marie Abraham. « On focalise surtout sur les émissions de CO2, mais ne n’est pas le seul problème. Il n’y a pas seulement l’empreinte carbone dont il faut se préoccuper. »

L’autre défi, selon Luciano Barin Cruz, c’est qu’une telle mesure crée une forme de culpabilisation pour le public. Un thème qui est souvent repris par Yves-Marie Abraham, qui fait remarquer qu’on pointe souvent la responsabilité des individus, qui demeure limitée. « Le citoyen est déjà très contraint. Il se fait imposer des choix qui ne sont pas de vrais choix. Même s’ils font des efforts, les citoyens vont constater que ça ne suffit pas. »

« Il y a des discussions en cours, il y a des universités dans le monde qui travaillent là-dessus [indiquer l’empreinte environnementale des produits alimentaires], indique M. Barin Cruz. D’ici cinq ans, ça sera peut-être une autre discussion. »

Rectificatif
Une version précédente de ce texte indiquait que Lydia Laflamme a remporté un prix de l’Association d’administration publique du Canada, comme l’indiquait l’Université Laval dans un communiqué. Or, il s’agit plutôt de l’École de la fonction publique du Canada. Nos excuses.

Lisez l’essai de Lydia Laflamme