Le spécialiste de l’énergie Pierre-Olivier Pineau a démissionné du Comité consultatif sur les changements climatiques du gouvernement Legault. Celui-ci dénonce « une sorte de censure », un manque de vision et de transparence, des programmes inefficaces ainsi que l’absence de remise en question sur la façon dont les Québécois consomment l’énergie.

M. Pineau, professeur au département des sciences de la décision à HEC Montréal et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie, a remis sa démission la semaine dernière au Comité consultatif sur les changements climatiques mis en place par le gouvernement Legault.

C’est la quatrième fois en deux ans qu’un conseiller quitte l’organisme scientifique.

« Mais les trois autres ne sont pas forcément liés à des raisons similaires », a toutefois tenu à préciser Pierre-Olivier Pineau qui a quitté mercredi dernier le comité qu’il juge « dysfonctionnel et non productif ».

Une « sorte de censure »

Celui qui co-rédige chaque année l’État de l’énergie au Québec a expliqué à La Presse Canadienne que le comité travaillait récemment à produire un bilan indépendant de l’action climatique du gouvernement.

« Il y a des professionnels de recherche qui sont engagés par le comité et qui travaillaient sur des documents, mais lorsque venait le temps de voir ces documents-là, ça ne correspondait pas aux discussions qu’on avait eues en sous-comité et donc j’avais l’impression qu’il y avait comme une sorte de censure qui était exercée, que les thèmes sur lesquels on avait travaillé en sous-comité ne se retrouvaient plus dans les documents qu’on discutait, et ça, ça me troublait et j’avais un peu perdu espoir que le comité puisse faire un travail critique indépendant sur le bilan de l’action climatique du gouvernement québécois », a résumé le chercheur.

« Une des raisons plausibles, c’est que les gens, les professionnels de recherche qui sont des employés du ministère de l’Environnement, mais qui sont prêtés au comité, n’avaient pas la latitude pour mettre de l’avant et documenter les idées que le sous-comité avait discutées », selon Pierre-Olivier Pineau.

Fonds vert : des dépenses critiquées

Le chercheur souhaitait que le comité puisse se pencher sur les dépenses du Fonds vert, qui est devenu le Fonds d’électrification et de changements climatiques (FECC), et qui ont fait l’objet de critiques dans le passé.

En mai 2022, le rapport de la commissaire au développement durable Janique Lambert soulignait que 80 % des dépenses prévues au FECC étaient destinées à des projets qui « n’ont pas d’indicateurs ni de cibles adéquates ».

Ces projets représentaient 5,4 milliards des 6,7 milliards de dépenses prévues au FECC.

« Ce programme avait une certaine cible pour 2020, puis on se rend compte qu’il atteint seulement 53 % de sa cible » et pourtant, le programme a été reconduit, sans que la cible soit changée, « puis en remettant de l’argent supplémentaire », avait notamment souligné Janique Lambert.

Pierre-Olivier Pineau voulait que le comité fasse « à tout le moins une synthèse des critiques qui ont été émises pour comprendre si le gouvernement s’améliore dans ses programmes, mais toutes ces notions-là, de faire un résumé, une synthèse (des critiques) du fonctionnement du fonds d’électrification, tout ça avait été évacué ».

Il faut revoir notre rapport à la consommation

Le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie déplore également que les programmes du gouvernement ne permettent pas de remettre en question notre rapport à la consommation d’énergie.

« Quand on achète un véhicule électrique, on reçoit de l’argent et ça diminue le prix du véhicule électrique. Si on fait des rénovations à travers le programme Rénoclimat, on peut aussi recevoir de l’argent […], mais ces programmes n’amènent pas le consommateur à réfléchir à sa consommation d’énergie. C’est bien de changer un frigo inefficace par un frigo efficace, mais ça ne remet pas en question notre rapport à la consommation », a expliqué Pierre-Olivier Pineau.

Selon le professeur, « pour faire une transition énergétique, il faut aller au-delà de simplement améliorer l’efficacité technique des équipements qui nous entourent, il faut repenser notre consommation d’énergie et c’est ce que ces programmes ne font pas ».

Selon lui, certains programmes du gouvernement ne sont tout simplement pas efficaces.

« Mais c’est difficile de le prouver parce que les données sont très difficiles à obtenir et il y a peu de transparence, et ça c’est un problème en soi, le manque de transparence, parce que ça rend l’évaluation de ces programmes là très ardue », a ajouté le chercheur.

M. Pineau remet également en question que le gouvernement du Québec puisse acheter des réductions d’émission de gaz à effet de serre dans d’autres juridictions, dans le cadre de la bourse du carbone, et de les attribuer à son propre bilan.

« Le gouvernement interprète tous les achats nets de droits d’émission en Californie comme des réductions dans son bilan, mais c’est discutable que ça soit une réduction, parce que ça reste un droit d’émission qu’on achète dans une entité, une juridiction différente, ce n’est pas forcément une réduction d’émissions de gaz à effet de serre de manière concrète. »

Donc « c’était important, à tout le moins, d’avoir une discussion sur l’usage du mot réduction », a précisé le professeur en ajoutant que « cette discussion a été complètement évacuée ».

Dans une déclaration transmise à La Presse Canadienne, l’attachée de presse du ministre de l’Environnement, Benoit Charette, a écrit que celui-ci prenait « acte de la décision » de M. Pineau.

« Le comité consultatif en changements climatiques demeure une entité indépendante, dont l’expertise est précieuse pour le Québec et en laquelle nous avons pleinement confiance », a également indiqué Mélina Jalbert.