Au premier coup d’œil, il n’existe aucun lien entre les mégots de cigarette et les matériaux isolants utilisés dans les bâtiments. L’entreprise française TchaoMégot prouve que c’est tout le contraire.

À l’époque étudiant en génie, Julien Paque était en train de rénover une maison avec son père lorsqu’il a observé des mégots de cigarette au sol. Il les a surtout remarqués en raison de leur ressemblance avec le matériau isolant qui comblait les murs. Et si l’un pouvait mener à l’autre ?

  • TchaoMégot crée deux produits recyclés : des matériaux isolants pour les bâtiments et des doudounes (manteaux légers) de textile.

    PHOTO FOURNIE PAR TCHAOMÉGOT

    TchaoMégot crée deux produits recyclés : des matériaux isolants pour les bâtiments et des doudounes (manteaux légers) de textile.

  • Des bornes de collecte sont réparties un peu partout à travers la France.

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    Des bornes de collecte sont réparties un peu partout à travers la France.

  • Une fois nettoyée, la fibre des mégots peut être recyclée.

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    Une fois nettoyée, la fibre des mégots peut être recyclée.

  • Un procédé est en place pour passer des mégots au produit fini.

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    Un procédé est en place pour passer des mégots au produit fini.

  • L’entreprise fabrique principalement des matériaux isolants pour les bâtiments.

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    L’entreprise fabrique principalement des matériaux isolants pour les bâtiments.

  • Elle confectionne également des manteaux légers avec la fibre recyclée.

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    Elle confectionne également des manteaux légers avec la fibre recyclée.

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Il se trouve que c’est possible, à condition d’avoir l’esprit aiguisé et le pouce vert. Julien en a fait son projet d’études final, avant de transposer l’idée dans la réalité.

En 2020, il a fondé TchaoMégot dans sa petite commune de Bresles, en France.

Innovante, l’entreprise mise sur un processus de transformation qui utilise les mégots de cigarette pour créer deux produits recyclés : des matériaux isolants pour les bâtiments et des doudounes (manteaux légers) de textile.

« C’est cliché, mais ça a commencé dans un petit garage à côté de la maison, raconte Sarah Hennard, responsable des relations de presse chez TchaoMégot. Ils étaient juste deux, et maintenant, nous sommes 20 employés dans un bâtiment de 1500 mètres carrés. »

Chaque année, 25 000 tonnes de mégots de cigarette sont jetées en France. C’est l’équivalent du poids de trois fois la tour Eiffel. « Une fois qu’il est jeté au sol, il suffit qu’il pleuve et les toxicités du mégot vont finir par polluer, par tuer la faune et la flore », glisse Sarah Hennard.

Afin de récupérer les mégots, Julien Paque et son équipe ont installé des bornes de collecte adaptées dans plusieurs régions du pays. Ils ont des ententes avec des réseaux de transport déjà existants : ainsi, le camionneur concerné s’arrête pour ramasser le sac de mégots durant sa tournée, sans modifier son itinéraire.

Une fois rendus à Bresles, les mégots sont triés par une ingénieure et placés dans une machine de dépollution capable de nettoyer 99,7 % de la fibre. Le reste est jeté de manière sécuritaire.

« La machine va les tamiser et les ouvrir, explique Sarah Hennard. On obtient donc la fibre ouverte, qui contient des substances toxiques. Puis, on utilise un solvant neutre en circuit fermé, qui capte les substances toxiques et qui les retire en concentré. »

Lorsque le concentré est séparé, la fibre n’est dangereuse ni pour la santé ni pour l’environnement, indique une étude française de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS). On peut ainsi l’utiliser pour créer les deux produits.

Le problème est plus grand

« Nettoyer, c’est la chose la moins efficace qu’on peut faire », affirme Thomas Novotny, professeur émérite à la division d’épidémiologie et de biostatistique de l’université San Diego State, en entrevue.

Aux États-Unis, environ 5600 milliards de cigarettes sont vendues annuellement. Les collectes sur les plages, par exemple, permettent au maximum d’en amasser quelques millions. « Ce n’est pas significatif », compare-t-il.

Expert des impacts de la cigarette sur l’environnement et la santé, le professeur Novotny comprend l’idée de la collecte. Certains ont essayé en Inde, d’autres au New Jersey, mais ça n’a jamais été concluant jusqu’à maintenant.

Au Québec, il n’existe pas d’entreprise qui fait exactement le même travail que TchaoMégot. Mais l’initiative Mégot Zéro offre des solutions pour les récupérer à Montréal, et Recyc-Québec confirme à La Presse avoir financé un projet de l’entreprise Sumeco Solutions « pour la réalisation d’une étude de faisabilité pour la transformation des mégots de cigarette ».

En se fiant à des données colligées sur plusieurs études, le professeur Novotny estime que les deux tiers des fumeurs jettent leurs mégots dans l’environnement, ce qui est énorme. La solution idéale, à ses yeux, serait que la population arrête complètement de fumer. « Une réduction à la source, explique-t-il. Les maladies n’augmenteraient plus, et ça éliminerait le déchet qui est le plus répandu à l’unité dans le monde. »

TchaoMégot voit difficilement comment cela peut être possible. Au cours des prochaines années, elle planifie d’augmenter sa capacité de filtrage et de production.

Sa machine actuelle peut dépolluer huit litres à l’heure, mais une collecte de fonds est en cours pour faire l’achat d’un dispositif largement plus efficace, d’une centaine de litres à l’heure.

Autrement, TchaoMégot souhaite aussi « implanter des sites industriels dans d’autres régions de France », en plus d’évaluer la possibilité de s’étendre à l’international.

« Si on arrive à trouver des fonds, des personnes ou des entreprises qui veulent investir, ce sera possible », souligne Sarah Hennard.