Un astucieux projet-pilote de chaussée réfléchissant le soleil permet d’abaisser la température environnante d’une dizaine de degrés. Le mélange d’asphalte à base d’eau utilisé dans ce projet-pilote est appelé à être étendu plus largement dans deux villes caniculaires du sud des États-Unis, Phoenix et Los Angeles.

À Phoenix, ville désertique de l’Arizona, les citoyens ont vécu dans une fournaise, avec des mercures supérieurs à 43 °C durant plus d’un mois au cours de l’été qui vient de se terminer. Des centaines de décès ont été signalés. Avec le réchauffement des dernières années, les élus ont déployé des mesures d’urgence et décidé de se tourner vers la science et les innovations.

L’une des découvertes est venue d’un expert local en couches de scellement de l’asphalte. L’entreprise GuardTop est spécialisée dans l’application de scellant, de remplisseurs de fissures et d’apprêts. Elle a proposé aux élus de la municipalité d’étendre le revêtement « Phoenix Gray », à l’essai, dans un quartier de la ville.

PHOTO FOURNIE PAR LA VILLE DE PHOENIX

Travailleurs à l’œuvre à Phoenix pour appliquer le recouvrement d’asphalte à base d’eau.

Le résultat est très concluant après un an, selon les données rendues publiques par l’administration. Dans un point de presse en juin, la mairesse Kate Galledo a dit à ses citoyens qu’il devient pensable de marcher avec son chien, d’aller au parc et à l’épicerie, ou de se rendre à pied à un arrêt d’autobus grâce aux chaussées plus fraîches.

À la Ville de Phoenix, Heather Murphy, responsable des communications, a affirmé à La Presse que 1,9 million de mètres carrés de Phoenix Gray ont été étendus dans environ 25 quartiers. La Ville souhaite maintenant presque doubler la superficie d’asphalte froid.

Selon les données prises à l’heure du midi et durant l’après-midi, la température de surface des chaussées fraîches était en moyenne inférieure de 10,5 à 12 degrés Fahrenheit à celle de l’asphalte traditionnel.

« Pour le moment, on applique le revêtement froid aux rues qui ont besoin d’être colmatées, mais pas entièrement asphaltées de nouveau. La couche de scellement convient mieux aux rues où le trafic routier est moins dense avec de basses vitesses. On espère que les prochaines générations de revêtements frais conviendront aux grandes artères », a-t-elle précisé.

Des recherches à Montréal…

À Montréal, Michel Vaillancourt, professeur et directeur du département de génie de la construction de l’École de technologie supérieure (ETS), consacre une partie de ses travaux de recherche à la conception et à la réhabilitation de chaussée. Il travaille sur un prototype à base de matériaux recyclés comme le verre ou la brique. Pour bien comprendre le phénomène de chaussée fraîche, il dresse un parallèle avec la chaleur émanant d’une voiture garée en plein soleil, équipée de sièges noirs, comparée à une voiture aux sièges beiges.

C’est « l’albédo », résume-t-il.

La couleur pâle a la propriété de réfléchir la lumière solaire, alors que le noir va l’absorber. L’une des techniques utilisées depuis longtemps est justement l’utilisation de surfaces plus réfléchissantes.

Michel Vaillancourt, professeur et directeur du département de génie de la construction, ETS

« On parle ici de mesures d’atténuation de la chaleur par la chaussée, explique-t-il. On peut penser que ce serait utile chez nous dans certains endroits pour contrer les îlots de chaleurs, par exemple les grands stationnements. »

… et d’autres expériences à Los Angeles

Dans le petit quartier défavorisé de Pacoima, à Los Angeles, un revêtement similaire, non toxique, est à l’essai dans un quadrilatère formé d’une dizaine de rues, avec une école primaire, un terrain de basketball et des stationnements. Là aussi, on parle d’une baisse enviable de la température de 10 degrés, selon l’heure du jour. Afin de mesurer les températures, des techniciens ratissent régulièrement le territoire et la communauté voisine de référence avec une voiturette de golf équipée de stations de mesures. Des drones, et même des données par satellite, servent à collecter une panoplie d’informations allant du point de rosée à la pression barométrique, la vitesse du vent, sa direction, etc.

  • Le petit quadrilatère de Pacoima, San Fernando, Los Angeles, avant l’application de la chaussée froide

    PHOTO FOURNIE PAR LE GAF COOL COMMUNITY PROJECT, LOS ANGELES

    Le petit quadrilatère de Pacoima, San Fernando, Los Angeles, avant l’application de la chaussée froide

  • Le petit quadrilatère de Pacoima, San Fernando, à Los Angeles, avant l’application de la chaussée froide

    PHOTO FOURNIE PAR LE GAF COOL COMMUNITY PROJECT, LOS ANGELES

    Le petit quadrilatère de Pacoima, San Fernando, à Los Angeles, avant l’application de la chaussée froide

  • Des citoyens bénévoles participent au projet en créant des murales au sol.

    PHOTO DANIEL BURKE, GAF COOL COMMUNITY PROJECT, LOS ANGELES

    Des citoyens bénévoles participent au projet en créant des murales au sol.

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Le fabricant de toitures GAF est à l’origine du « Cool Community Project ». Des citoyens bénévoles se sont prêtés à l’expérience en peignant des œuvres murales au sol. Dans son rapport d’évaluation du projet-pilote transmis à La Presse, GAF note que les résidants ont rapporté que les semelles de leurs chaussures ne collaient plus autant à la chaussée. Les conducteurs n’étaient pas aveuglés par la chaussée pâle, ajoute-t-on. Le projet est appelé à s’étendre à d’autres rues.

À la fin du mois de septembre, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, a annoncé son intention de déminéraliser des secteurs pour créer des « rues éponges » afin de contrer les inondations, de s’adapter aux changements climatiques. À la Ville de Montréal, on indique que l’administration est ouverte à l’utilisation de nouveaux produits en demeurant à l’affût des différentes pratiques sur le marché.

« La Ville analyse les différentes options afin de s’assurer que celles-ci soient efficaces et adaptées à la réalité montréalaise », a précisé le service des communications. Pour l’instant, il n’est pas prévu d’étendre un revêtement frais pour contrer les îlots de chaleur.

Une version précédente de cet article ne précisait pas la valeur de la différence de la température à l’heure du midi et de l’après-midi ; il s’agissait de 10,5 à 12 degrés Fahrenheit. Pas des Celsius, comme la formulation aurait pu le laisser supposer. Nos excuses.

En savoir plus
  • Bon à savoir
    Le Phoenix Gray est une sorte d’émulsion d’asphalte à base d’eau adhérant au pavé sous-jacent. Il se compose d’asphalte, d’eau, de composantes minérales, de polymères, de matériaux recyclés et d’un agent savonneux émulsifiant.
    Ville de Phoenix
    Bon à savoir
    L’albédo est une valeur physique qui permet de connaître la quantité de lumière solaire incidente réfléchie par une surface.
    Centre national de la recherche scientifique (CNRS)