On les surnomme « fumier humain », « or brun » ou « biosolide ». Les boues d’épuration municipales sont parfois utilisées comme fertilisant sur les terres agricoles. Québec veut désormais imposer un seuil pour limiter les concentrations de certains contaminants qu’on y retrouve.

Dans la ligne de mire du ministère de l’Environnement : les substances perfluorées, souvent qualifiées de « polluants éternels » ou connues sous leur acronyme anglais PFAS. Cette grande famille de milliers de composés chimiques est omniprésente dans les objets du quotidien comme les poêles antiadhésives, les vêtements imperméables, les emballages alimentaires ou les tissus résistants aux taches. Ils sont montrés du doigt pour leurs effets nocifs sur la santé.

Le ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Benoit Charette, a annoncé vendredi qu’il lançait une consultation d’experts pour imposer un « seuil préventif » pour réduire les risques liés à la présence de ces contaminants « d’intérêt émergent » dans les boues.

« La proposition que nous soumettons aux spécialistes pour consultation est l’une des plus ambitieuses au monde », a-t-il déclaré dans un communiqué de presse.

Ce seuil dicterait la concentration maximale permise pour 10 substances per et polyfluoroalkylées (PFAS) additionnées ensemble. Il s’agirait d’une première en Amérique du Nord.

Québec va aussi mesurer deux des composés les plus étudiés sur la planète, soit l’acide perfluorooctanoïque (APFO) et le perfluorooctane sulfonate (PFOS).

Moratoire

Lorsque les eaux usées municipales sont traitées en usine, il en ressort une matière solide nommée « boue d’épuration ». Elle se compose en grande partie de matière organique qui peut être recyclée comme matière fertilisante dans les champs où poussent les plantes destinées à l’alimentation animale. Les boues peuvent aussi être enfouies ou brûlées.

En mars dernier, le gouvernement du Québec a instauré un moratoire temporaire sur l’épandage agricole des biosolides importés des États-Unis. Cette décision a été prise dans la foulée d’un reportage de Radio-Canada qui révélait que les boues importées présentaient une concentration préoccupante de PFAS.

Le moratoire ne vise pas les boues provenant des usines d’épuration d’eau municipales du Québec.

« Il y a une réalité historique industrielle différente aux États-Unis qu’au Canada. Les États-Unis sont un pays producteur de PFAS, donc ils ont quand même provoqué certaines contaminations vraiment industrielles directes dans certains États, c’est connu », a expliqué en entrevue l’agronome Agathe Vialle, conseillère à la direction adjointe de la matière organique du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCCFP).

« N’ayant aucun moyen de contrôler si ces biosolides-là étaient plus ou moins contaminés de façon industrielle directe, on a amené un moratoire par rapport à l’utilisation de ces matières en milieu agricole, donc préventivement, jusqu’à ce qu’on soit capable d’instaurer des outils pour nous rassurer. […] On n’a pas mis de moratoire au Québec parce que cet historique-là n’existe pas ici. »

Malgré cela, au Québec, les PFAS sont aussi détectables dans les boues municipales. Comment s’y retrouvent-elles ?

« On a des produits [où les PFAS] sont présents en plus grosse concentration comme certaines mousses incendies. Donc quand on va éteindre un feu, ça va se retrouver avec l’eau de pluie après dans nos égouts », explique Mme Vialle.

Autre exemple ? L’eau de la lessive des vêtements faits de matériaux qui en contiennent. « Ça se retrouve dans l’égout. Quand on se lave les mains, il y en a dans les produits d’hygiène », souligne-t-elle. « C’est vraiment notre quotidien qu’on remet dans l’égout municipal. »