Une grande chaîne de détaillants en alimentation a offert au gouvernement Legault de payer pour obtenir le monopole du système québécois de consigne sur les contenants de boisson, qui sera élargi mercredi, pendant que d’autres se sont battus jusqu’à la fin pour en réduire la portée, soutient le gouvernement Legault.

Ce qu’il faut savoir

  • Une grande chaîne d’alimentation a tenté d’obtenir le monopole du système québécois de consigne sur les contenants de boisson, qui sera élargi mercredi, a révélé le ministre Benoit Charette.
  • D’autres acteurs ont tenté jusqu’à la toute fin de minorer la réforme.
  • Quelque 3000 points de retour accepteront à partir de mercredi les contenants consignés, soit plus du double que ce que Québec avait promis.

« Une offre formelle » a été faite par « une chaîne bien, bien en vue au Québec », a révélé dans un entretien avec La Presse le ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Benoit Charette.

Cette chaîne, que le ministre Charette n’a pas voulu nommer, demandait d’obtenir par contrat le monopole des points de retour des contenants consignés – la consigne s’appliquera à tous les contenants d’aluminium de 100 ml à 2 L et son montant sera uniformisé à 10 cents, sauf exception, à partir du 1er novembre.

« Les chaînes savent bien que le client ou la cliente qui rapporte des contenants va probablement en profiter pour aller faire son épicerie ou acheter quelques [articles] manquants », a souligné le ministre.

Aucun montant n’a été évoqué dans les discussions, auxquelles le gouvernement a coupé court, a indiqué Benoit Charette.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Benoit Charette, ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs

On a dit non. […] Aucune chaîne ne peut prétendre être partout au Québec. Si on donne un monopole, il y a des régions qui vont être mal desservies.

Benoit Charette, ministre de l’Environnement

Costco, Couche-Tard, Loblaw, Metro, Sobeys et Walmart n’ont pas rappelé La Presse, mais aucune de ces grandes chaînes « n’a levé la main pour gérer l’écosystème à elle seule », a assuré le président du Conseil canadien du commerce de détail, Michel Rochette, soulignant que leur intérêt pour la consigne a varié avant que les détails de la réforme soient officiellement adoptés.

L’affirmation du ministre Charette « risque de détourner l’attention » du fait que le « système n’est pas encore prêt », a ajouté M. Rochette, rappelant que « la majorité des commerçants veut que [les points de retour] soient à l’extérieur de leurs murs », lors de l’entrée en vigueur de la deuxième phase, en mars 2025.

Opposition jusqu’à la fin

D’autres acteurs du système de la consigne, dont la réforme confie la gestion aux entreprises mettant en marché des boissons prêtes à boire en vertu du principe de responsabilité élargie des producteurs, ont tenté jusqu’à la toute fin de le minorer, a aussi confié le ministre Charette.

« Encore il y a deux semaines, j’en ai brassé quelques-uns », qui demandaient notamment des exclusions, a-t-il affirmé, ajoutant avoir « eu à rappeler que le non-respect de cette réglementation-là serait accompagné de sanctions ».

Aujourd’hui, tout le monde veut être sur la photo, bien content de mettre en place cette réforme-là, mais je peux vous dire qu’il y a plusieurs acteurs qui ont tiré de nombreuses ficelles pour essayer de [la] faire dérailler.

Benoit Charette, ministre de l’Environnement

Le ministre Charette ne craint pas pour autant que sa réforme soit sabotée par ceux qui s’y sont jadis opposés, et qui font partie de ceux ayant la responsabilité de l’implanter.

« Ils ont des obligations de résultat, a-t-il dit. S’ils n’atteignent pas ces résultats-là, ce seront les premiers pénalisés. »

Cette obligation de résultat concerne en premier lieu les producteurs, précise le ministre ; les détaillants ont pour leur part une obligation d’offrir le service de collecte, sauf pour ceux dont le commerce fait moins de 375 m⁠2.

Plus de 3000 points de retour

À partir de mercredi, 3273 détaillants à travers le Québec reprendront les contenants consignés, dont 1776 détaillants de moins de 375 m⁠2.

C’est plus du double de ce qui avait été promis par Québec, qui prévoyait 1200 points de retour pour la première phase et 1500 pour la deuxième, le 1er mars 2025, quand s’ajouteront notamment les contenants de verre, comme les bouteilles de vin et spiritueux, ainsi que les contenants multicouches (jus, lait).

300 millions

Nombre annuel de contenants supplémentaires qui seront consignés avec l’élargissement de la consigne à tous les contenants en aluminium de 100 ml à 2 L

Source : Association québécoise de récupération des contenants de boissons

Certains petits commerçants pourraient vouloir se retirer du système lors de l’entrée en vigueur de cette deuxième phase, pour ne pas avoir à gérer ces contenants supplémentaires, reconnaît Benoit Charette, qui n’exclut pas d’éventuelles « modifications réglementaires » pour faciliter la vie aux petits commerçants, ou même pour augmenter le montant de la consigne si les taux de retour ne s’avèrent pas ceux escomptés.

« On sait qu’il va y avoir du travail d’ajustement d’ici le 1er mars 2025 », indique le ministre.

Éviter le mur

Benoit Charette ne regrette pas d’avoir retardé une partie de sa réforme de la consigne en l’implantant en deux phases.

« On aurait pu frapper un mur, solide », a-t-il fait valoir, évoquant l’impossibilité de terminer à temps l’acquisition des nouveaux équipements requis pour les contenants de verre et les modifications aux réglementations municipales nécessaires à l’implantation de points de dépôt dans des stationnements, par exemple.

Quant aux bouteilles d’eau, qui représentent annuellement 1,2 milliard de contenants de plastique pourtant déjà acceptés par les gobeuses lorsqu’ils sont remplis de boisson gazeuse, le ministre soutient que la décision de ne pas les assujettir à la consigne dès mercredi était simplement « une question de volume ».

Il y a eu « 40 ans d’efforts réussis pour faire dérailler cette réforme-là », souligne le ministre, qui se dit tout à fait à l’aise de « gérer un an » de délai pour maximiser ses chances de succès.

Le ministre ferme d’ailleurs la porte à tout autre report, soulignant que les « contraintes » ayant justifié le dernier sont essentiellement réglées.

Favoriser la réutilisation

Benoit Charette assure vouloir favoriser la réutilisation des contenants de boissons, plus écologique que leur recyclage, même si différentes organisations écologistes ont estimé que sa réforme de la consigne ne fait rien en ce sens, dans la foulée de la faillite de la seule usine québécoise de lavage de bouteilles de bière de microbrasseries. « On a des équipes qui travaillent pour trouver comment améliorer [l’utilisation des] contenants à remplissage multiple », assure le ministre, évoquant les microbrasseries et les laiteries, « mais à petite échelle ». Recyc-Québec, qui avait abandonné en 2019 le plafond de contenants à usage unique imposé aux brasseurs de bière, a refusé la demande d’entrevue de La Presse, invoquant « une semaine occupée pour nos porte-parole », a déclaré sa porte-parole, Véronique Boulanger.