(Ottawa) Une solution proposée par le gouvernement fédéral pour tenter de régler le problème d’odeurs nauséabondes du dépotoir illégal de Kanesatake est dans l’impasse depuis des mois en raison de la bisbille chez les dirigeants de la communauté. L’Institut de développement durable des Premières Nations du Québec et du Labrador avait accepté en juin de coordonner les efforts pour atténuer ces mauvaises odeurs et déterminer le coût des travaux de décontamination.

La saga en quelques dates

2015

Le ministère de l’Environnement du Québec autorise le centre de tri G & R Recyclage à s’implanter sur le territoire mohawk de Kanesatake malgré le lourd passé criminel de ses propriétaires, les frères Robert et Gary Gabriel.

2017

Les frères Gabriel élargissent leur dépotoir illégalement. Des milliers de tonnes de détritus sont déversés à un endroit inadapté, traversé par des cours d’eau naturels.

2020

Le ministère de l’Environnement du Québec révoque le certificat d’autorisation permettant l’exploitation du centre de tri G & R Recyclage. Les propriétaires s’en sont tirés, à ce jour, avec 17 883 $ d’amende.

Juin 2023

Le gouvernement fédéral propose que l’Institut de développement durable des Premières Nations du Québec et du Labrador coordonne les efforts pour atténuer les mauvaises odeurs émanant du site et déterminer le coût des travaux de décontamination. Deux factions au sein du Conseil mohawk de Kanesatake s’opposent sur cette question. Une réunion entre la ministre Patty Hajdu, le ministre Ian Lafrenière et les sept chefs tourne au vinaigre.

« On a toujours eu de bonnes relations avec la communauté et avec les deux parties, a expliqué avec prudence le directeur général de l’Institut, Alain Bédard, en entrevue. On a été un peu vus comme une solution pour accompagner la communauté afin de résoudre les enjeux de G & R Recyclage. »

L’organisme autochtone voué à la protection de l’environnement avait toutefois imposé deux conditions après avoir été sondé par le gouvernement. La première était d’obtenir l’aval de l’ensemble du conseil mohawk de Kanesatake, ce qui s’est avéré impossible en raison des tensions entre les chefs.

La deuxième était d’avoir un document signé par les propriétaires de G & R Recyclage, Robert et Gary Gabriel, pour autoriser les travaux et assurer qu’il n’y ait pas d’obstruction, selon une lettre du ministère des Services aux Autochtones que La Presse a obtenue.

Si tout le monde est d’accord, on va les aider. S’il y a quelqu’un qui n’est pas d’accord, il y aura d’autres solutions qui seront proposées.

Alain Bédard, directeur général de l’Institut de développement durable des Premières Nations du Québec et du Labrador

L’odeur nauséabonde qui se dégage du site est « la préoccupation la plus urgente » pour cette communauté où résident environ 1300 personnes, selon un document du gouvernement fédéral obtenu en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. « La perception est que la qualité de l’air pose un risque pour la santé », est-il écrit.

Déversement d’eau contaminée

Des enquêtes de La Presse en mai et en juin avaient permis de constater qu’une eau brunâtre s’écoule du site de G & R Recyclage et dépasse de 144 fois la concentration de sulfures jugée sûre pour la survie des poissons. Le dépotoir appartient aux frères Gabriel qui traînent tous deux un lourd passé criminel.

Dans la lettre au conseil de bande, le Ministère se dit prêt à financer des travaux préliminaires pour atténuer les odeurs et déterminer le coût des travaux de décontamination sans spécifier le montant. L’argent transiterait par l’Institut qui s’occuperait des appels d’offres et de la coordination.

Cette solution a été proposée pour faire avancer les choses en attendant que le conseil de bande s’entende sur l’« Oka Letter » exigée par Ottawa avant de financer la décontamination du site. Ce document est l’équivalent d’un titre de propriété qui accorde officiellement aux frères Gabriel le droit d’occuper le terrain où se trouve le dépotoir illégal de G & R Recyclage. Ottawa et Québec ont exigé qu’ils remettent cette lettre au conseil de bande, afin que le site redevienne « orphelin ».

« En transférant le site à la bande, on n’a aucune garantie que la responsabilité ultime dans le futur ne retombera pas sur la bande », a affirmé en entrevue le chef Serge Otsi Simon, l’un des cinq dissidents au sein du Conseil, qui retient l’« Oka Letter ». Il voudrait un engagement plus ferme du gouvernement fédéral qu’il assumera les frais pour « nettoyer le site complètement ».

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Détritus traînant dans le dépotoir illégal de Kanesatake, en avril dernier

Le Conseil mohawk de Kanesatake est divisé en deux factions. D’un côté, il y a le grand chef Victor Bonspille et sa sœur jumelle Valerie Bonspille et, de l’autre, cinq chefs dissidents. Le grand chef a fait adopter une motion de censure à la fin d’octobre pour les exclure et est allé jusqu’à cadenasser les portes des bureaux du conseil de bande.

Il accuse les dissidents de bloquer toute tentative du gouvernement fédéral pour régler la situation. « Ils jouent avec la santé des gens, pas seulement les Mohawks, mais aussi ceux des municipalités avoisinantes », a-t-il soutenu. « Ils ont peur que le gouvernement finisse par se retirer de toute entente et nous laisser avec un site contaminé, mais la réalité est que le site est déjà là. »

Réunion d’urgence à venir

Une réunion d’urgence a été convoquée ce mercredi où les membres de la communauté pourront choisir entre la tenue d’élections générales, d’une élection partielle ou une gouvernance effectuée par le grand chef Bonspille, sa sœur et « un gestionnaire administratif intérimaire ».

« J’espère que ça va amener à dénouer l’impasse », a lancé en entrevue le ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit au Québec, Ian Lafrenière. Il a fait parvenir une lettre aux sept chefs il y a deux semaines pour les inviter à mettre de côté leurs querelles pour régler le dossier du dépotoir illégal de G & R Recyclage.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Ian Lafrenière, ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit

[Les chefs] sont d’accord sur l’urgence d’agir. Là, où on a encore un enjeu, je pense que c’est au niveau de la confiance qu’ils ont.

Ian Lafrenière, ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit

« Est-ce qu’on va leur donner une lettre qui dit, peu importe ce qui arrive, jamais vous ne serez tenus responsables, la réponse, c’est non, a reconnu M. Lafrenière. Est-ce qu’il y a d’autres choses qu’on peut trouver pour une certaine forme de confort ? Oui. »

Le gouvernement du Québec estime que la décontamination du dépotoir illégal coûterait 100 millions. Ottawa n’a jamais avancé de montant.

« On est prêts à faire équipe avec nos partenaires, dont le gouvernement du Québec, et à financer la décontamination du site et les études nécessaires », a indiqué par courriel Simon Ross, directeur des communications de la ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu.

« C’est essentiel pour nous d’avoir l’appui de la communauté à chaque étape, a-t-il ajouté. On est prêts à avancer avec l’Institut de développement durable des Premières Nations du Québec et du Labrador, mais on est aussi ouverts à d’autres solutions faites par et pour la communauté. […] On espère pouvoir avancer le plus rapidement possible. »

Une rencontre virtuelle entre la ministre fédérale Patty Hajdu, le ministre québécois Ian Lafrenière et les chefs du Conseil mohawk de Kanesatake à la fin du mois de juin avait tourné au vinaigre. Les deux factions se sont mises à se disputer et la ministre Hajdu avait mis fin à la rencontre en leur demandant de régler leurs différends, selon plusieurs sources au fait du dossier et qui ne sont pas autorisées à parler publiquement.

Avec la collaboration de William Leclerc et de Tristan Péloquin, La Presse