Faire de l’asphalte avec du plastique, ça se peut ? Oui. Et la Régie intermunicipale de traitement des matières résiduelles de la Gaspésie (RITMRG) y croit. Après un projet pilote s’étant bien déroulé cet automne à Victoriaville, l’organisme se prépare à produire un enrobé bitumineux fait de plastiques souples pour la Ville de Percé.

« Tout ce projet, en fait, c’est vraiment parti du fait qu’on reçoit beaucoup de plastiques souples, donc des sacs ou des produits d’emballage qu’on n’arrive pas nécessairement à revaloriser », explique la directrice générale de la Régie, Nathalie Drapeau, en entrevue avec La Presse.

Il y a trois ans, son groupe a mandaté l’École de technologie supérieure (ETS) pour trouver une solution. Après analyses et tests en laboratoire, les experts ont conclu qu’il serait possible d’incorporer ces plastiques dans la fabrication de l’enrobé bitumineux – autrement dit l’asphalte.

PHOTO FOURNIE PAR LA RÉGIE INTERMUNICIPALE DE TRAITEMENT DES MATIÈRES RÉSIDUELLES DE LA GASPÉSIE

Un tronçon de rue recouvert de l’enrobé bitumineux fait de plastiques souples.

Mme Drapeau et ses équipes se sont alors mises à la recherche d’un bitumier pour tester une première production. C’est finalement le constructeur routier Sintra qui a levé la main. La Ville de Victoriaville s’est ensuite manifestée pour tester le produit dans la rue Boivin, en octobre dernier.

« C’était pour nous une première marche d’essai avec 200 kilogrammes de plastique transformé. Le principe était de voir si ça s’appliquait bien, si la viscosité du mélange passait bien. Et ça s’est vraiment bien déroulé, on n’a pas constaté de problématiques particulières sur le terrain », résume la gestionnaire.

La suite à Percé

Le procédé de fabrication fonctionne grosso modo ainsi : d’abord, le plastique est broyé, puis densifié et granulé en petits flocons ; ce sont ces derniers qui sont ensuite vendus à des bitumiers, qui les incorporent dans la fabrication du bitume.

PHOTO FOURNIE PAR LA RÉGIE INTERMUNICIPALE DE TRAITEMENT DES MATIÈRES RÉSIDUELLES DE LA GASPÉSIE

Le plastique est broyé, puis densifié et granulé en petits flocons.

D’ici janvier, la RITMRG lancera une première phase de production dans un bâtiment construit en annexe du centre de tri. Déjà, on sait qu’une partie de cette production servira au revêtement de la rue commerciale menant au Géoparc de la ville de Percé, la municipalité ayant signifié son intérêt pour le projet.

On parle d’un tronçon de rue d’à peu près 300 à 400 mètres, donc c’est pas mal plus gros que ce qu’on a fait à Victoriaville. L’idée, c’est aussi de montrer qu’après, on pourrait transférer ce projet-là ailleurs au Québec, dans des lieux à plus grande capacité.

Nathalie Drapeau, directrice générale de la Régie intermunicipale de traitement des matières résiduelles de la Gaspésie

Elle affirme que son groupe a reçu plusieurs « appels d’intérêt » dans les derniers mois, tantôt de la part de villes, tantôt de la part d’entreprises.

« Il y a beaucoup de villes qui veulent de plus en plus s’approcher du concept d’économie circulaire. C’est sûr que tout le monde attend aussi de voir comment va aller la réalisation à Percé », dit Mme Drapeau, qui espère pouvoir offrir une partie de la solution « au défi du plastique post-consommation ».

Gare aux mauvais pièges

À l’Institut national de la recherche scientifique, la professeure associée Louise Hénault-Ethier, qui est spécialisée en adaptation aux changements climatiques, parle d’un projet « intéressant », mais impose tout de même certaines nuances.

« C’est quelque chose à saluer, d’abord parce que le gouvernement n’empêche pas la mise en marché de plastiques uniques qui ne sont pas facilement recyclables, dit-elle. Donc, il faut trouver une façon de les gérer. »

Là, ils ont trouvé un débouché pour quelque chose qui n’est pas facilement valorisable, qui génère de l’emploi et qui peut minimiser le transport des matières ou l’importation de matières bitumineuses. On doit le souligner, c’est un bel effort.

Louise Hénault-Ethier, professeure associée à l’Institut national de la recherche scientifique

Le revers de la médaille, toutefois, « c’est qu’on peut toujours se demander si ça va réellement donner une boucle de valorisation, ou si ça va donner ce qu’on appelle en anglais du downcycling, bref du sous-cyclage », enchaîne l’experte. Le downcycling est une forme de recyclage qui transforme un produit en un nouveau produit ou matériau de valeur moindre.

« En fait, la question que je me pose, c’est de savoir si des boucles comme celle-là n’appellent pas à une production de matières premières supplémentaire. Est-ce qu’on vient de mettre en place un petit monstre qui va devoir être alimenté ? », s’interroge Mme Hénault-Ethier.

Elle les usines de biométhanisation pour illustrer son point. « Pour avoir une usine fonctionnelle, ça prend une certaine dimension et un approvisionnement garanti. Ça fait en sorte que si localement, les gens décident de faire de la réduction à la source, il faut alors s’approvisionner plus loin et lancer un nouveau cycle de production », explique la spécialiste.

Écrivez-nous pour faire partager « vos idées vertes »