Des locataires démunis d’Hochelaga-Maisonneuve déplorent avoir été poussés à signer, sous pression, des résiliations de bail et craignent de se retrouver à la rue en raison d’importants travaux à venir dans leur immeuble. Leur nouveau propriétaire se défend en affirmant leur avoir présenté toutes les options, mais ce cas démontre encore une fois le fardeau pour les moins nantis de faire valoir leurs droits, estime un expert en droit du logement.

Ils sont parmi les plus démunis de la société : à la retraite ou sans emploi, ils touchent l’aide sociale ou des pensions, ne savent pas lire ou sont âgés. Ils ont en commun d’habiter de minuscules studios dans un immeuble d’appartements délabré qu’ils devront quitter en août prochain.

Le vétéran des Forces armées canadiennes Mathieu Métivier ignorait tout de la vente récente de son immeuble survenue quelques semaines plus tôt, lorsque « Martin » a débarqué chez lui, raconte-t-il en entrevue avec La Presse.

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Mathieu Métivier récupère son courrier dans le hall d’entrée du 1850, rue Viau, où l’on peut apercevoir de nombreuses cases postales vides, signe que des locataires n’ont jamais été remplacés par les propriétaires précédents.

Cheveux attachés, jeans, gilet bleu sous un manteau, ce représentant du nouveau propriétaire de l’immeuble l’informe d’imminents travaux à venir dans l’immeuble, dont Mathieu Métivier assure, encore une fois, qu’il n’avait jamais entendu parler.

« Il nous dit : ‟Je suis ici pour régler votre déménagement.” Il nous dit : ‟Vous me dites : combien vous voulez pour votre déménagement ?” », se souvient Mathieu Métivier.

« J’étais tellement sous pression »

Déboussolé, pressé par ce « Martin » de régler ce dossier rapidement, il s’entend sur la somme de 1000 $ et appose son nom au bas d’un document qu’il ne comprend pas : une résiliation de bail.

On lui remet sur-le-champ un chèque de 500 $, le reste viendrait au moment de rendre les clés.

« [On] ne nous a jamais précisé qu’il fallait qu’on quitte notre logement, que ç’a été vendu, qu’ils font des travaux majeurs, rien de tout ça », dit le vétéran avant de prendre une pause. « On a été bernés jusqu’au bout », dit-il, l’émotion dans la voix.

Au moins deux autres locataires du 1850, rue Viau ont indiqué à La Presse avoir accepté l’offre de « Martin ».

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Plusieurs locataires du 1850, rue Viau, dans Hochelaga-Maisonneuve, affirment avoir accepté sous pression de signer une résiliation de bail qu’ils se sont fait présenter par un représentant du nouveau propriétaire de l’immeuble.

Connaissant ses droits, Diane, 74 ans, résidante de l’immeuble depuis 2009, a quant à elle refusé de signer l’offre de « Martin ». « Ils m’ont dit, dans ce cas-là, on va vous passer en cour, se remémore-t-elle. À mon âge, je ne veux pas déménager, puis revenir, puis redéménager : je n’ai pas la capacité pour faire ça. Vivre dans les boîtes non plus, ça ne m’intéresse pas. »

Le concierge de l’immeuble, Joseph*, a signé, lui. « Martin est venu deux fois me harceler : dépêchez-vous de vous trouver un logement, pis ci, pis ça. […] C’est de la pression qu’ils mettent, j’étais tanné, c’était trop, se souvient-il. J’ai accepté, j’étais tellement sous pression, je ne connais pas ça, moi. »

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Le logement de Joseph*, au 1850, rue Viau

Des gens très vulnérables

« Ce sont des gens très vulnérables qui ont signé des ententes qu’ils ne savent pas lire », déplore l’organisatrice communautaire au Comité BAILS, Annie Lapalme, venue à la rescousse après avoir été alertée de la situation.

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L’organisatrice communautaire Annie Lapalme rassure les locataires du 1850, rue Viau.

Elle décrit un modus operandi qu’elle a trop souvent vu ces dernières années.

« C’est un intermédiaire qui a été engagé pour venir cogner aux portes et dire aux gens qu’ils doivent absolument quitter puisqu’ils vont faire des travaux », explique-t-elle, une stratégie très utilisée par certains propriétaires qui veulent « vider des blocs ».

« Si nous n’étions pas dans le portrait, cet immeuble se serait vidé très rapidement », estime Annie Lapalme.

Ceux qui ont refusé de signer ont finalement reçu un avis de renouvellement de bail, assorti d’une augmentation de loyer, le tout estampillé par un huissier provincial.

Le document mentionne des travaux d’une durée de six mois qui permettront la remise à neuf des salles de bains et des cuisines, une opération d’extermination des punaises de lit et le remplacement du câblage électrique et de conduites de plomberie.

  • Lors du passage de La Presse, le mois dernier, des inspecteurs de la Ville de Montréal auscultaient le sous-sol du bâtiment.

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    Lors du passage de La Presse, le mois dernier, des inspecteurs de la Ville de Montréal auscultaient le sous-sol du bâtiment.

  • L’un des logements en démolition du 1850, rue Viau

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    L’un des logements en démolition du 1850, rue Viau

  • Des travaux ont été effectués à l’intérieur de certains appartements déjà vides du 1850, rue Viau.

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    Des travaux ont été effectués à l’intérieur de certains appartements déjà vides du 1850, rue Viau.

  • L’intérieur du 1850, rue Viau montre que des travaux majeurs doivent être faits sur le bâtiment.

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    L’intérieur du 1850, rue Viau montre que des travaux majeurs doivent être faits sur le bâtiment.

  • L’intérieur du 1850, rue Viau montre que des travaux majeurs doivent être faits sur le bâtiment.

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    L’intérieur du 1850, rue Viau montre que des travaux majeurs doivent être faits sur le bâtiment.

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« Si je dois partir d’ici, je vais me retrouver à la rue », dit en soupirant l’un des locataires, Karim Soufny, inquiet à l’idée de se lancer à la recherche d’un nouvel appartement compte tenu de son dossier de crédit.

« Nous sommes de bonne foi »

La Presse a joint le propriétaire de l’immeuble, Jacob Mund, qui a créé la société 9485-3900 le 21 février dernier, trois jours avant qu’elle n’achète le 1850, rue Viau.

Ce dernier se défend d’avoir tenté d’intimider ses nouveaux locataires et assure les avoir informés des travaux qu’il comptait entreprendre dans l’immeuble.

Ceux qui veulent revenir à la suite des travaux seront les bienvenus. Nous sommes de bonne foi et nous respectons et nous protégeons les droits de tout un chacun.

Jacob Mund, propriétaire de l’immeuble

« Les papiers que nous leur avons présentés sont très simples : s’ils veulent partir, ils signent une résiliation de bail, s’ils veulent rester, nous leur envoyons un avis de travaux majeurs avec éviction temporaire où les raisons pour lesquelles nous faisons les travaux sont indiquées, tout comme le montant de la compensation qui leur est offert », ajoute-t-il.

La « stratégie du choc »

L’espoir subsiste pour les locataires comme Mathieu Métivier qui veulent faire annuler la résiliation de bail qu’ils jugent avoir signée contre leur gré, estime l’avocat spécialisé en droit du logement Daniel Crespo, surtout s’ils n’ont pas encore encaissé le chèque de « Martin ».

« Le Code civil prévoit certains critères ou motifs par lesquels on peut dire que le consentement a été vicié. Par exemple : la question de la crainte qui peut survenir de la manière dont le propriétaire a présenté l’offre », explique-t-il.

Or, le fardeau revient alors à la partie lésée, le locataire dans ce cas-ci, de prouver qu’il y a eu faute, une démonstration supplémentaire du poids que fait porter le système actuel aux locataires, explique Daniel Crespo.

Venu sur place lundi pour constater la détresse des locataires du 1850, rue Viau, le député solidaire d’Hochelaga-Maisonneuve, Alexandre Leduc, ne décolère pas.

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Le député solidaire d’Hochelaga-Maisonneuve, Alexandre Leduc

L’élu n’hésite pas à qualifier les pratiques du propriétaire « de harcèlement » vis-à-vis de ces personnes démunies « dont la plupart ignorent les bases mêmes du droit au logement », comme la plupart des citoyens, d’ailleurs.

« C’est la stratégie du choc : on débarque et il faut que tu signes, tu n’as pas le choix », dit en soupirant Alexandre Leduc, persuadé qu’il faut tenter d’empêcher de telles pratiques.

*Par crainte de représailles, Joseph a demandé à être présenté sous un nom d’emprunt. Nous avons toutefois pu confirmer sa vraie identité.