En mars dernier, de nombreux internautes ont acheté des billets pour un faux festival, Aurora, qui devait se tenir en juin à Montréal. Quatre mois plus tard, malgré plusieurs plaintes, le créateur de l’évènement ne semble toujours pas inquiété par la police. Son ancien associé, lui, dit multiplier les semaines de travail de plus de 70 heures pour « rembourser personnellement les victimes » et « acheter la paix ».

« Les acheteurs ont été mis dans une situation qui n’est pas leur faute, raconte Kyllian Mahieu, 20 ans, au bout du fil. Ce n’est pas la mienne non plus, mais si je peux faciliter la vie des personnes qui ont payé pour des billets, je vais le faire. Éthiquement, c’est la chose à faire, et je préfère être honnête. »

Le 9 mars dernier, Kyllian Mahieu s’est retrouvé bien malgré lui au cœur de l’actualité. Son ancien partenaire d’affaires, Nathan Scuderi, aurait pris le contrôle du site internet du Groupe Cenari – société de production que tous deux ont cofondée en 2022 – afin de vendre des billets pour un évènement fictif. Le festival Aurora promettait trompeusement des têtes d’affiche comme Harry Styles, Doja Cat et SZA du 1er au 3 juin au Vieux-Port de Montréal. Coût des laissez-passer : jusqu’à 650 $.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Extrait du site internet proposant des billets pour le Festival Aurora

M. Scuderi, qui a été impliqué dans différentes arnaques depuis 2019 selon une enquête de La Presse, aurait vendu pour des milliers de dollars en billets sans que M. Mahieu, alors président et directeur général de Cenari, puisse intervenir.

Lisez l’enquête « Faux festival, vraie arnaque »

Si le travailleur autonome dans les arts de la scène a souhaité réparer les torts par lui-même, c’est que le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) n’a pas donné suite à sa plainte, fait-il savoir. « Je l’ai contacté deux fois pour dire que j’avais plus d’information à lui donner. On m’a dit qu’on allait me rappeler. Finalement, j’ai reçu une lettre pour dire que le dossier était classé, par manque de preuves. Je trouve ça aberrant ! C’est un manque de volonté et un manque de respect pour les personnes fraudées. »

La Presse a pu consulter cette lettre. Au moins un autre plaignant avec qui La Presse s’est entretenue n’a reçu aucun retour de la part du SPVM à la suite de sa déposition contre Nathan Scuderi.

Kyllian Mahieu a finalement été joint par la police de Montréal après nos questions au service des communications. Sans expliquer ou commenter ce cas précis, la porte-parole Anik de Repentigny assure que le « SPVM prend les plaintes de fraude au sérieux ». « Nous ne ménageons pas nos efforts pour nous y attaquer, en répression comme en prévention. Nous encourageons d’ailleurs les personnes qui en sont victimes à communiquer avec leur poste de quartier ou avec le 911 », indique-t-elle par courriel.

Le 8 mai dernier, La Presse révélait que des fraudes financières restent souvent impunies au Québec en raison des ressources et de l’intérêt limités des services de police.

Lisez l’enquête « Les escrocs ont le champ libre »

Pour blanchir son nom et obtenir réparation, Kyllian Mahieu compte entamer des procédures civiles contre son ancien associé, récemment mis en demeure. « Si je dois emprunter le circuit de la Cour du Québec et tout faire par moi-même, c’est que la police ne fait pas sa job alors qu’il y a beaucoup en jeu, dit-il. J’ai eu de la chance qu’un producteur ne m’attaque pas en justice. Si le producteur de Harry Styles avait décidé de le faire, j’aurais été ruiné pour le restant de ma vie. »

La Presse n’avait pas été en mesure de joindre Nathan Scuderi au moment de publier.

Des centaines de virements

Dans l’attente d’un verdict, M. Mahieu souhaite rembourser la quinzaine de billets pour le festival Aurora vendus par son ancien collègue, soit l’équivalent d’environ 6000 $.

« Après avoir exploré, avec mon avocate, les différents recours qui m’étaient offerts, j’ai décidé de vous rembourser personnellement, signe de ma bonne foi dans cette affaire », a écrit M. Mahieu aux victimes dans un courriel consulté par La Presse.

Nous avons pu valider le processus de remboursement indépendamment grâce à deux clients qui avaient acheté un billet.

En contrepartie, le jeune artisan a demandé aux victimes de signer une lettre de quittance les engageant à ne pas le poursuivre en justice. « Cela n’empêche aucunement les plaintes à l’encontre de M. Scuderi », écrit M. Mahieu dans le courriel. De nombreuses personnes ont accepté le remboursement, mais d’autres n’ont pas encore donné suite à la proposition de Kyllian Mahieu.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Nathan Scuderi en 2021

Grâce à un ancien employé du festival Aurora, il a pu mettre la main sur les noms et les adresses courriel des personnes lésées ainsi que la somme que chacune a déboursée.

M. Mahieu a aussi offert une compensation aux exposants et aux participants de Sexposition, une foire d’art érotique organisée par Cenari et prévue en mars dernier, à Montréal. L’évènement a été annulé dans la foulée des révélations de La Presse.

En incluant notamment les frais d’avocat, M. Mahieu soutient avoir déboursé « environ 30 000 $ » en lien avec l’arnaque du festival Aurora.

Kyllian Mahieu affirme travailler sans relâche, jusqu’à 80 heures par semaine. « Je prends toutes les opportunités. » Avant l’entretien, il dit avoir travaillé de 9 h à 21 h sur un démontage de scène, puis avoir été appelé pour un remplacement d’urgence, de 22 h à 4 h du matin, avant de reprendre, à 6 h, un autre contrat de montage de scène.

« Je n’ai pas pu rentrer chez moi pendant 48 heures, affirme-t-il. Mais je n’ai pas le choix, j’ai besoin de travailler. Les frais continuent de monter, et je suis au bout de mes économies. »