Une transformation majeure se prépare sur le boulevard Henri-Bourassa, dans le nord de Montréal, où la Ville compte aménager d’ici quelques années une longue voie réservée aux autobus et une autre pour les vélos, de l’est vers l’ouest. À un an du début des travaux, des commerçants appréhendent déjà de nombreux impacts.

Dès 2024, une portion importante du boulevard sera réaménagée entre l’avenue Marcelin-Wilson et la rue Lajeunesse. On y ajoutera un service rapide par bus (SRB) léger, au sens où la voie ne sera pas surélevée comme le SRB Pie-IX, ainsi qu’une autre antenne du Réseau express vélo (REV).

À terme, le « corridor de mobilité durable » que veut réaliser la Ville d’ici 2027 – toujours en combinant le SRB et le REV – fera 18 kilomètres entre l’autoroute 13 et le boulevard Lacordaire. Trois arrondissements seront donc traversés par ce projet majeur.

Cela entraînera le retrait de deux voies de circulation de chaque côté du boulevard, en plus de retirer plusieurs espaces de stationnement. Il ne restera donc que deux voies pour la voiture dans chaque direction.

L’idée d’un SRB léger, appelé aussi « métrobus », avait émergé lors de la dernière campagne municipale, en octobre 2021. La Ville y a ensuite intégré l’idée du REV, ces autoroutes à vélo qui se multiplient déjà sur l’île depuis plusieurs années. Sur Henri-Bourassa, les traverses de piétons seront aussi revues pour faciliter les déplacements à pied, surtout aux intersections.

Petite révolution ?

« C’est assez révolutionnaire, ce qui s’en vient », affirme la responsable de la mobilité au comité exécutif, Sophie Mauzerolle. « L’axe Henri-Bourassa est déjà le plus achalandé avec plus de 50 000 voyageurs par jour. Le matin et le soir, il y a de longues files devant les bus. Le besoin d’agir, il est déjà là », persiste l’élue.

Au métro Henri-Bourassa, le résidant Jean-Guy Charette applaudit l’initiative de l’administration Plante.

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Le résidant Jean-Guy Charette

Ahuntsic, avant, c’était pratiquement une ville-banlieue, mais là, ce n’est plus du tout ça. On ne peut pas faire autrement que de multiplier les options en transport collectif et actif.

Jean-Guy Charette, résidant du secteur

« La ville change, le temps aussi. On ne peut plus faire autrement que d’aller dans cette direction », ajoute M. Charette, qui soutient que bientôt, l’usage de la voiture individuelle « ne sera tout simplement plus viable ». « C’est du gaspillage au fond, quand on sait qu’un véhicule, ça passe 90 % de son temps stationné », souffle-t-il.

François Lamontagne, lui, est plus sceptique, mais ne demande qu’à être convaincu. « Il faut juste que le monde le prenne et que ça vaille la peine. Si les gens utilisent le futur SRB en masse, je pense que ça peut être un bon projet. Mais sinon, ça coupe quand même deux voies de circulation », évoque-t-il.

« Expropriation déguisée »

Dans le milieu commercial, le projet passe toutefois assez mal. Depuis quelques semaines, le propriétaire de la boucherie Salaison St-André, André Savoie, fait circuler une pétition demandant à la Ville de reconsidérer ses intentions. « On n’est pas antivélo, on n’est pas réfractaires au progrès et au transport collectif, mais on trouve ça dommage de retirer tous les espaces de stationnement. Pour nous, c’est un peu comme une expropriation déguisée », lance M. Savoie.

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Steve Dupuis, qui va reprendre le commerce de son père, la boucherie Salaison St-André

Son fils Steve Dupuis, qui reprendra bientôt la boucherie, l’appuie dans son combat. « Ce qu’on demande, c’est une consultation publique. On a des choses à dire et le côté business semble échapper à la Ville », poursuit M. Savoie, qui propose par exemple que la voie réservée aux autobus soit en vigueur en heure de pointe, le matin et le soir, mais que le reste du temps, on y permette le stationnement.

Le projet « va mettre un paquet de commerces à la rue », craint aussi Rémi Lafleur, serrurier établi sur le boulevard Henri-Bourassa depuis déjà plusieurs décennies.

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Le propriétaire de Serrurier Lafleur, Rémi Lafleur

N’avoir aucun stationnement, c’est illogique. C’est un boulevard ici, pas une petite rue locale. On fait quoi avec nos clients qui viennent de Longueuil, Mont-Laurier, Saint-Jérôme ?

Rémi Lafleur, commerçant du secteur

« Ça se peut bien qu’on ferme le comptoir ici », lance le responsable de Vitrerie St-André, François Rousseau, qui s’oppose aussi au projet de la Ville. Selon lui, combiner un REV et un SRB est excessif « quand on sait qu’Henri-Bourassa, c’est la seule rue en ce moment qui va bien ».

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Le responsable de Vitrerie St-André, François Rousseau

« Tu prends Saint-Laurent, Berri, Sauvé, Fleury, Prieur : il y a des travaux partout dans le coin. Ici, c’était la seule rue encore fluide et les gens venaient nous voir entre autres pour ça », soutient M. Rousseau.

À la Ville, Sophie Mauzerolle assure qu’un dialogue sera en place pour « accompagner ces commerçants dans le changement ». « On va vraiment prendre le temps d’aller voir chacun d’entre eux pour cibler leurs besoins de desserte et de livraison. Il y a moyen de gérer le stationnement sur les rues perpendiculaires pour qu’ils ne soient pas trop impactés au quotidien », estime-t-elle.

« Quand on a fait le REV Saint-Denis, on entendait aussi ce discours-là, alors que présentement, le taux de vacance n’a jamais été aussi bas et c’est pas mal l’artère qui s’en est le mieux sortie durant la pandémie. Ce n’est jamais l’hécatombe annoncée et on finit par en constater la plus-value », conclut Mme Mauzerolle.