Payer directement avec sa carte de crédit ou son téléphone mobile pour monter à bord des transports en commun convaincrait des milliers d’usagers occasionnels de prendre l’autobus ou le métro plus souvent, révèle un document de travail de l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM). Celle-ci anticipe toutefois des risques financiers derrière cette transition.

Environ 67 % des déplacements additionnels provoqués par la réforme numérique proviendraient de clients « occasionnels » ou « sporadiques », autrement dit les personnes utilisant le transport collectif moins d’une fois par semaine, apprend-on dans le plan d’affaires du Projet numérique de mobilité (PNM), que nous avons obtenu.

Fin août, La Presse a révélé que la vaste transition numérique que prépare l’ARTM coûterait plus de 144 millions, avec un budget pour les imprévus de 18,5 millions, pour un total de 162 millions.

Lisez l’article « Virage numérique dans le transport collectif : encore quatre ans d’attente »

L’organisme évalue toutefois que ces investissements rapporteraient près de 364 millions en retombées d’ici 2035, en plus de faire exploser le nombre de déplacements pour en totaliser 155 millions d’ici 12 ans.

Bref, les usagers occasionnels ou sporadiques compteraient pour 104 millions de ces 155 millions de déplacements supplémentaires. L’objectif avoué de l’ARTM est ainsi de « convertir » ces utilisateurs épisodiques en usagers « réguliers » du transport collectif.

Appelé à réagir, le porte-parole de l’ARTM, Simon Charbonneau, a indiqué que son groupe « ne peut pas commenter un document qui n’a pas été formellement adopté par son conseil d’administration ». « Cependant, je peux vous dire que la mobilisation des partenaires est énergisante », a-t-il fait valoir.

A priori, ce virage numérique doit se faire en plusieurs étapes : d’abord, en 2024, on ajouterait un système de recharge mobile de la carte OPUS. Puis, en 2025 ou 2026, le paiement par carte bancaire et l’achat en ligne de billets validés avec le téléphone seraient activés. Enfin, en 2027, un système de paiement intégré serait déployé, possiblement au moyen d’une application mobile, en réunissant le métro, le bus, le REM, l’autopartage, le vélopartage, le taxi ou encore le covoiturage.

Sans surprise, c’est l’achat de titres par téléphone qui ferait le plus bondir l’achalandage du transport collectif. À elle seule, cette mesure serait responsable d’une hausse de 31 % des trajets. Le paiement par carte bancaire suit toutefois de près avec 28 %. Un meilleur planificateur de trajets aiderait aussi à augmenter les déplacements de 26 %.

L’ARTM note aussi que l’introduction de nouveaux supports de titres pour remplacer OPUS, comme les codes QR, permettra « de développer des forfaits et des offres tarifaires sur mesure », notamment par l’entremise des employeurs, mais aussi des organisateurs de grands évènements et des municipalités elles-mêmes.

Plusieurs risques à considérer

Une aussi grande transition ne se fera pas sans risque, prévient toutefois l’organisme. Dans son rapport, l’ARTM dévoile les grandes lignes de ce qu’elle appelle « l’analyse de sensibilité » de sa transition.

D’abord, un retard de seulement un an sur la livraison du projet ferait gonfler la facture de 3,3 %, pour un total de 5,3 millions. Pire encore, un tel retard ferait aussi chuter les flux monétaires – soit les entrées et les sorties d’argent – de 39,6 millions, une chute de 17 %.

On ignore encore ce que deviendraient ces hausses si le retard était de plusieurs années. Selon nos sources, de l’inquiétude demeure encore à l’interne et dans le monde du transport quant à la capacité de l’ARTM de livrer ce projet en quatre ans, vu l’imposant « développement technologique » que cela commande. L’idée d’une telle transition numérique avait émergé dès 2018, mais n’a encore jamais vu le jour.

Lisez l’article « Système de paiement et de planification : récit d’un virage raté »

Tout dépendra aussi du contexte économique, ajoute l’Autorité.

À elle seule, une augmentation des taux d’intérêt d’environ 1 % ferait hausser de 7 millions le coût total. Et si un bond d’un point de pourcentage de l’inflation survenait, il faudrait encore trouver tout près de 2,2 millions supplémentaires.

Une diminution d’environ 10 % des déplacements appréhendés ferait aussi largement diminuer les flux monétaires liés au projet de 36,3 millions, soit environ 16 %.

En additionnant tous ces coûts, ce premier avertissement lancé par l’ARTM fait donc état d’une hausse probable de 9 % de la facture, l’équivalent de 14,6 millions de dollars. Autrement dit, si tout se passe bien, le coût de la transition numérique atteindrait alors près de 177 millions.

Parmi d’autres dangers qui ont déjà été ciblés, l’organisme a aussi cité par le passé la « transition » qu’il y aura à faire avec le système de billettique du fournisseur actuel, mais aussi le délai probable pour rendre disponible une information pour les usagers « précise et complète ».

Subvention d’envergure, ou pas ?

Pour l’instant, l’ARTM chiffre la « subvention estimée » des différents ordres de gouvernement à 70 %, soit environ 114 millions. Dans ce scénario, la contribution nette de l’ARTM serait d’un peu plus de 48 millions. Or, ce scénario est basé sur l’hypothèse que l’Autorité obtiendra du gouvernement une subvention comme « projet d’envergure ». Si cela n’était pas le cas, l’aide de Québec chuterait de 22 points de pourcentage, signalent les experts dans le document, qui précisent que l’ARTM devrait alors verser pas moins de 84,5 millions à elle seule.

L’histoire jusqu’ici

22 août 2023

La Presse révèle qu’un étudiant de l’Université McGill a réussi à programmer un logiciel permettant de recharger la carte OPUS en ligne avec son téléphone cellulaire. La nouvelle pousse l’ARTM à réagir, assurant que le travail est en cours.

31 août 2023

L’ARTM présente à ses administrateurs un plan de 162 millions qui devrait permettre aux usagers d’entrer dans la modernité d’ici quatre ans, en 2027. Québec demande dans la foulée de « devancer l’échéancier » du système.

23 octobre 2023

L’ARTM dépose officiellement le plan d’affaires de sa transition numérique.