Offre, contre-offre, débats publics : le gouvernement et les villes s’affrontent depuis quelques semaines sur le financement du transport collectif. Les maires réclament des centaines de millions en aide financière par année pour éviter de sabrer les services, tandis que Québec insiste sur sa marge de manœuvre limitée. Parce qu’il est facile de s’y perdre, voici quelques clés pour comprendre ce conflit à multiples facettes.

Pourquoi un déficit ?

D’abord, il convient de rappeler que tout part de la pandémie, qui a bouleversé l’usage du transport collectif et creusé un trou monstre dans les finances des sociétés de transport. Plus de trois ans après le premier confinement, la fréquentation atteint encore à peine environ 80 % du niveau prépandémique. Résultat : le manque à gagner pour les cinq prochaines années est évalué à 2,5 milliards, selon le gouvernement, et à 3,7 milliards selon l’Association du transport urbain du Québec (ATUQ). Bref, l’industrie saigne. Sous pression, la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, s’est engagée le printemps dernier à présenter un plan de financement sur cinq ans, pour renverser la vapeur.

Qui paiera ce déficit ?

C’est le nœud du problème. Mi-octobre, Mme Guilbault a d’abord proposé une aide de 502,8 millions sur cinq ans aux sociétés de transport, ce qui revient à n’éponger que 20 % du déficit de 2,5 milliards évalué par son gouvernement. Les villes auraient alors eu à couvrir le gros de la facture, ce qui risquait d’entraîner d’importantes hausses de taxes. Les villes ont ensuite soumis une contre-proposition : que Québec assume à court terme 75 % du déficit de l’année 2024, estimé à 532 millions. Leur demande au gouvernement se chiffre ainsi à 400 millions pour l’an prochain. Puis, jeudi, Québec a fait une offre dite « finale » et à la hausse aux villes et aux sociétés de transport, comme prévu. Dans le Grand Montréal seulement, le gouvernement ferait passer sa contribution de 150 à 238 millions pour 2024. L’aide totale offerte à ce jour est de 265 millions, en incluant quelque 27 millions pour les régions à l’extérieur de Montréal, ce qui revient à éponger 70 % du déficit selon le calcul que fait le gouvernement.

Une entente est-elle encore possible ?

La réponse courte, c’est évidemment oui, puisqu’au fond, Québec et Montréal n’ont d’autre choix que de s’entendre à court terme pour 2024. Pour la suite et les prochaines années, cela pourrait toutefois prendre plus de temps. À long terme, il sera en effet ardu de trouver un terrain d’entente, puisque les deux parties ne s’entendent même pas sur le calcul du déficit. Le gouvernement est en effet d’avis que les sociétés de transport le surestiment de près de 200 millions. Selon Québec, le déficit est de 338 millions, alors que selon les villes, il atteint 532 millions. Un flou demeure notamment quant à l’utilisation de la nouvelle taxe sur l’immatriculation dans le Grand Montréal : les municipalités veulent utiliser la cagnotte pour développer le réseau, alors que le gouvernement veut plutôt qu’elle serve à réduire le déficit des sociétés de transport. Bref, plusieurs litiges devront encore être résolus.

Qu’arrivera-t-il en cas d’impasse ?

Selon les villes, toute aide gouvernementale inférieure à 300 millions pour 2024 entraînerait directement des coupes de services importantes en transport collectif. On ignore encore si ces scénarios se produiront réellement, mais parmi ceux qui ont déjà été évoqués, mentionnons la fermeture du métro dès 23 h, ce qui fait craindre à la mairesse Valérie Plante une atteinte « à la réputation » de Montréal. Une baisse se ferait aussi sentir du côté du nombre d’autobus, partout dans le Grand Montréal, et des dizaines de chauffeurs devraient être licenciés. Pour certains observateurs, la possibilité de voir de tels scénarios catastrophes se réaliser demeure faible, dans la mesure où ni Québec ni Montréal n’ont intérêt à ce qu’ils se réalisent. La Société de transport de Montréal (STM) a d’ailleurs indiqué que si elle devait faire des coupes, elle le ferait en touchant « le moins d’usagers » possible.

Pourquoi l’urgence ?

C’est surtout du point de vue des villes que le temps presse, puisque la présentation des budgets municipaux est prévue d’ici quelques semaines. À Montréal, par exemple, on sait déjà que le budget devra être bouclé vers le 15 novembre. Au gouvernement, il faut aussi agir rondement, puisqu’une mise à jour budgétaire est attendue ce mardi et devrait comprendre l’aide financière en question. « En ce moment, on doit fonctionner avec des hypothèses. Et on ne peut pas être rigoureux si on n’a pas des chiffres devant nous », a rappelé il y a quelques jours la mairesse de Longueuil, Catherine Fournier. Réunies en conseil d’administration, les municipalités de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) ont d’ailleurs déjà convenu de limiter à 4 % l’augmentation de la contribution des municipalités à l’ARTM pour l’exercice 2024. La réalité, toutefois, c’est que sans aide de Québec, cette hausse pourrait être beaucoup plus élevée.