L’ex-patronne de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) pensait pouvoir survivre à la crise qui a secoué son organisation en novembre et a été surprise de se faire lâcher publiquement par son amie Dominique Ollivier.

C’est ce qui ressort des textos échangés par Isabelle Beaulieu et son numéro deux Guy Grenier le mois dernier, des échanges qui offrent une rare plongée dans les coulisses d’une organisation en pleine tempête médiatique. La Presse les a obtenus grâce à la loi d’accès à l’information.

« Je démissionne pas et toi non plus ! Les fuckers auront fait du tord [sic] à l’office. C triste. Mais nous on reste. DO [Dominique Ollivier] est vraiment dans la marde », analysait Isabelle Beaulieu le 6 novembre dernier, au surlendemain des premières révélations des journalistes de Québecor.

Ceux-ci ont passé au peigne fin les voyages et les dépenses de restaurant de l’OCPM pour établir que cette toute petite organisation était pourtant la plus dépensière de l’appareil municipal montréalais. Un dîner parisien aux huîtres à 347 $ et une longue liste de voyages dans des destinations exotiques ont particulièrement marqué les esprits.

Isabelle Beaulieu et son directeur général Guy Grenier étaient loin d’être ravis de se retrouver sous les projecteurs médiatiques. Le 2 novembre, le second envoie à la première un article sur d’importantes suppressions de postes à TVA. « Hehehehe », se moque Isabelle Beaulieu. « Félix Séguin ? Annabelle [Blais] ? », ajoute-t-elle, évoquant le nom de journalistes qui rapportaient ses dépenses.

« Rien à faire y voulait [sic] nous faire la peau. Pas réussi. On s’en kolisse [sic] », ajoute Mme Beaulieu, le même jour. « On est OK. »

Elle se trompait. Le conseil municipal la démettra de ses fonctions trois semaines plus tard.

« Dominique Ollivier et Plante m’ont lâchée »

En amont de cette décision : l’explosion d’une amitié de longue date qui s’est transformée en affrontement politique brutal entre Dominique Ollivier et Isabelle Beaulieu. La première avait présidé l’OCPM de 2014 à 2021. Les deux femmes s’étaient connues dans les coulisses du Parti québécois au début des années 2000. Mais en novembre, elles se sont publiquement blâmées l’une l’autre pour les dépenses excessives à l’OCPM.

Les échanges de textos montrent que Dominique Ollivier a échangé avec Guy Grenier (lui aussi un ancien partenaire d’affaires) avant la publication des révélations de Québecor. « Vous ne leur avez pas parlé [aux journalistes], n’est-ce pas ? », demande Mme Ollivier dans un message à Guy Grenier, qui le transfère à Isabelle Beaulieu.

PHOTO TIRÉE D’UN RAPPORT DE L’OCPM

Sur cette photo du Rapport annuel 2022 de l’OCPM, on peut notamment voir Valérie Plante (au centre), Isabelle Beaulieu (en brun, derrière), Dominique Ollivier (habit fleuri, à droite) et Guy Grenier (tout à droite).

Une fois la crise déclenchée, les communications semblent coupées entre les deux femmes. Isabelle Beaulieu relaie les propos de ancienne amie, qui l’accable à LCN. « Dominique me défend pas… », laisse-t-elle tomber, en euphémisant. « DO [Dominique Ollivier] et Plante m’ont lâchée. »

À ce moment, l’administration Plante essaie de diriger les critiques vers Mme Beaulieu et l’administration de l’OCPM pour tenter de protéger Mme Ollivier, la présidente du comité exécutif. Celle-ci a été « capable de faire face à la musique, d’être présente, transparente », assure la mairesse publiquement. Tout le contraire pour Isabelle Beaulieu : « Je trouve ça inacceptable qu’elle n’ait fait aucun commentaire, n’ait pas voulu rencontrer les médias », attaquait Mme Plante.

Puis, alors que la crise s’aggrave, Mme Beaulieu calcule ses sorties. Elle fera un nombre limité d’entrevues pour s’expliquer. « Maintenant on arrête, dira-t-elle ensuite. Il faut que la pression revienne sur DO [Dominique Ollivier]. »

« Tu peux pas rentrer plus vite ? »

Le nombre de textos entre Isabelle Beaulieu et Guy Grenier est particulièrement important parce que ce dernier se trouve à Rio de Janeiro, au Brésil, pendant une bonne partie de la crise. Cette participation à une conférence internationale lui sera vivement reprochée.

PHOTO CAROLINE BERGERON, TIRÉE DU SITE DE L’OFFICE DE CONSULTATION PUBLIQUE DE MONTRÉAL

Guy Grenier, secrétaire général de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM).

« Si crise devenait pire y’a tu moyen pour toi de rentrer plus vite ? », demande la présidente de l’OCPM, le dimanche 5 novembre, aux balbutiements du scandale. « Juste si c’était la folie. » « Non, je suis coincé », lui répond Guy Grenier.

Dès le lendemain, la pression monte. « Tu peux pas rentrer plus vite ? Ça chie vraiment. » « C pire que la tuerie au Spectrum. C’est la seule nouvelle. » « Les médias sont en feu. Pire qu’une Coupe Stanley », dira-t-elle plus tard.

Juste avant la publication du reportage, Mme Beaulieu avait suggéré de blâmer l’imminence de la publication pour repousser la sortie d’un nouveau site internet et d’un nouveau logo. « On n’a plus $$ de toutes façons », lui répond Guy Grenier. « Parfait. Mais entendons-nous pour dire que c’est à cause de Québecor », indique la présidente de l’OCPM.

Cette semaine, Isabelle Beaulieu n’a pas voulu commenter ses échanges avec son ex-second. « Je ne ferai aucun commentaire », a-t-elle répondu par courriel à La Presse.

Guy Grenier, qui a d’ailleurs traité la demande d’accès à l’information, a indiqué par téléphone que le document parlait de lui-même et qu’il n’avait rien à ajouter.

Rectificatif
Une version précédente de ce texte affirmait que Dominique Ollivier avait vendu ses parts dans une firme de communications à Isabelle Beaulieu. Elles ont été propriétaires de la même entreprise à des moments différents, mais M
me Ollivier assure n’avoir « jamais eu aucune transaction d’affaires avec Mme Beaulieu ».

Avec William Leclerc et Vincent Larouche, La Presse