Inès Moreau fait beaucoup plus attention dans le métro et les bus de la métropole depuis qu’un homme l’a harcelée – elle a dû en venir à faire un signalement à la police. Pour faire œuvre utile, elle participe aujourd’hui aux « marches exploratoires » de la Société de transport de Montréal (STM), qui ont pour objet de lutter contre l’insécurité des usagers. La Presse a suivi l’une d’entre elles.

« Je prends beaucoup le métro vers l’ouest et je peux vous dire que les stations Jolicœur ou Monk, sur la ligne verte, ce n’est pas idéal. C’est très creux, très grand et il fait noir. On est vraiment loin par rapport au quai de la personne responsable. S’il arrivait quelque chose, on se dit que personne ne le saurait nécessairement », explique la jeune étudiante, qui a accepté de s’entretenir avec nous.

C’est tout récemment qu’Inès affirme avoir pris conscience de certains risques, surtout dans le métro. « Il y avait un monsieur dans le métro qui est venu me parler et il ne me lâchait pas. Ça s’est reproduit plusieurs fois, puisqu’il prenait ensuite le même bus que moi. Il a fallu qu’on intervienne avec la police. Il ne me lâchait pas. Maintenant, je fais plus attention et je suis un peu plus stressée, c’est sûr », raconte-t-elle.

La principale intéressée participait comme plusieurs autres usagers-volontaires à l’une des 15 « marches exploratoires » que la STM a organisées entre novembre et décembre.

D’abord apparu dans les années 1980 à Toronto à l’initiative de groupes de femmes, ce concept est aujourd’hui répandu en Europe et en Amérique du Nord. C’est toutefois une première au Québec.

Une telle marche consiste essentiellement à se promener avec l’usager, avec plusieurs experts de la STM, dans le réseau du métro. Les stations où l’on recense le plus de plaintes d’incivilité sont visées, dont Papineau, Beaudry, Lionel-Groulx, Berri-UQAM, Bonaventure ou encore Atwater.

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Les stations où l’on recense le plus de plaintes d’incivilité sont visées par les marches exploratoires, notamment Papineau, Beaudry, Lionel-Groulx, Berri-UQAM, Bonaventure ou encore Atwater.

« Souvent, ça se fait en groupes de huit à dix personnes. Nous, à la STM, on trouvait que ce n’était pas la meilleure méthode, parce que la personne n’est pas dans un contexte normal. En y allant sur une base individuelle, on rend vraiment ça le plus proche de la réalité possible », explique la conseillère corporative en intelligence client de la société, Marie-Christine Langlois, qui se charge de recueillir les observations des usagers.

Des données très précises

Peu importe la forme qu’elle prend, chaque marche est l’occasion de cibler des angles morts en matière d’expérience client, affirme le directeur de la sûreté à la STM, Jocelyn Latulippe.

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Jocelyn Latulippe, directeur de la sûreté à la STM

On pose beaucoup de questions aux gens sur les éléments qui les rendent inquiets. Il y en a qui vont nous parler de l’éclairage, des types de clientèles qui fréquentent la station, de la couleur des murs, etc. Après, ça nous permet d’avoir de la donnée très précise sur le ressenti des gens, et de poser des actions.

Jocelyn Latulippe, directeur de la sûreté à la STM

Jusqu’ici, son groupe positionnait surtout ses effectifs en sécurité en fonction des appels ou des plaintes de clients à chaque station. « Là, on veut aller plus loin », dit M. Latulippe, qui accueillera bientôt une vingtaine de nouveaux ambassadeurs de sûreté, qui pourront faire de la désescalade sans toutefois utiliser la force.

« Ces ambassadeurs-là, en fin de compte, on va pouvoir les positionner par exemple dans de longs corridors de stations plus isolées, où les gens ne se sentent pas toujours en sécurité », illustre le gestionnaire.

Le métro, « pas un refuge »

M. Latulippe assure que « le réseau du métro, ce n’est pas un refuge ». « Cela dit, les gens qui ne vont pas dans les ressources, qui y sont refusés ou qui sont trop agressifs, souvent, ils restent dans le métro », note-t-il.

« Quand on ferme à 1 h dans la nuit, ces gens-là, la plupart du temps, ils sont très calmes. Ils nous demandent quand ça rouvre, vont se prendre un café puis reviennent. Le matin, ils reviennent et n’ont pas consommé. Le soir, par contre, ils ont souvent consommé toute la journée », poursuit le directeur.

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Jocelyn Latulippe, directeur de la sûreté à la STM, assure que « le réseau du métro, ce n’est pas un refuge ». « Cela dit, les gens qui ne vont pas dans les ressources, qui y sont refusés ou qui sont trop agressifs, souvent, ils restent dans le métro », note-t-il.

Dans la dernière année, entre le 1er novembre et le 30 avril, son groupe a dû raccompagner à la sortie pas moins de 7000 personnes dans le métro, à l’heure de la fermeture. « Et déjà pour 2023-2024, on voit qu’on est en augmentation », glisse Jocelyn Latulippe à ce sujet.

« Avant la pandémie, on pouvait fermer trois ou quatre stations pour ça. Là, en période hivernale, on roule à entre 15 et 30 stations qu’on doit fermer le soir parce qu’il y a des gens dedans », ajoute-t-il.

Les bus aussi visés l’an prochain

Si tout va bien, l’exercice des « marches exploratoires » se reproduira l’an prochain dans le réseau des autobus de la STM, en priorisant là encore les circuits où les usagers rapportent le plus d’évènements agressifs ou d’incivilité. Inès Moreau, de son côté, salue cette approche, mais affirme se sentir plus en sécurité, de façon générale, dans un bus. « Le chauffeur est plus proche. C’est donc plus facile d’aller voir quelqu’un si on a besoin d’aide. D’habitude, dans le bus, je n’ai pas trop de stress sur une base quotidienne, mais mon cas n’est pas nécessairement représentatif », conclut-elle.