Six mois après avoir obtenu 2 millions en dommages de Montréal, un entrepreneur en déneigement revient à la charge avec une nouvelle poursuite où il accuse la Ville de traiter l’industrie dont il fait partie « comme des rats ».

Ce qu'il faut savoir

  • Insatisfait des prix soumis pour certains territoires de déneigement, Montréal a confié cet hiver des contrats à ses cols bleus.
  • Un des entrepreneurs boudés poursuit maintenant la Ville pour 5 millions. Il a déjà obtenu 2 millions dans un dossier semblable, il y a quelques mois.
  • L’industrie du déneigement mène une pléthore de poursuites contre la Ville de Montréal, avec qui les relations sont extrêmement tendues.

Il s’agit d’une nouvelle bataille dans une longue guerre entre les entreprises de déneigement et l’hôtel de ville, avec des réclamations totalisant des dizaines de millions devant la justice.

Fort de sa victoire de l’an dernier, l’homme d’affaires John Tooke réclame maintenant 5 millions après avoir vu la Ville annuler un contrat de déneigement de plusieurs dizaines de rues à Rosemont qu’il était sur le point de remporter. Elle a plutôt confié le travail à ses cols bleus – et à d’autres entrepreneurs – pour éviter de « se faire avoir » avec des soumissions trop gourmandes.

« Les responsables de la Ville de Montréal agissent pour détruire l’intégrité du processus d’appel d’offres », déplore son entreprise, Déneigement Proquip, dans sa poursuite. Elle a été déposée la semaine dernière au palais de justice de Montréal. Le document accuse la Ville d’être « un partenaire commercial éthiquement et moralement défaillant ».

La poursuite décrit plusieurs occasions où la Ville de Montréal a cru bon d’intervenir dans des appels d’offres liés au déneigement.

« Si le système n’est pas réparé rapidement, il va rapidement s’effondrer. On a tenté dans les dernières années de contacter la Ville, de trouver des solutions dans l’intérêt des Montréalais, mais il n’y a rien à faire », a commenté l’avocat de M. Tooke, MYacine Agnaou, indiquant que les entreprises perdaient patience et désertaient. « C’est une situation dans laquelle ils doivent intervenir très, très rapidement, avant qu’il y ait des conséquences. »

M. Agnaou représentait une entreprise de M. Tooke lorsqu’il a remporté 2 millions en dommages pour un autre contrat annulé. La Ville de Montréal « n’est ni transparente ni équitable, et marchande ses contrats », a conclu la Cour supérieure dans une décision confirmée en appel.

Montréal et l’administration Plante n’ont pas voulu commenter le dépôt de la poursuite, « considérant la judiciarisation du dossier ».

« On ne se laissera pas avoir »

L’affaire au centre de la nouvelle poursuite remonte à l’été. Insatisfaite des prix soumis par le privé pour un territoire de déneigement à Rosemont et un autre au centre-ville, l’administration Plante a préféré confier la tâche à ses cols bleus. Elle a aussi élargi les contrats liés aux territoires voisins.

« On veut vraiment envoyer un signal au marché qu’on n’acceptera pas n’importe quel prix exagéré », avait alors affirmé l’élue responsable du dossier, Maja Vodanovic, en entrevue téléphonique avec La Presse. « C’est vraiment un message qu’on ne se laissera pas avoir. »

Proquip avait déposé la meilleure soumission pour le contrat à Rosemont. Son annulation représente « une attaque sans précédent contre l’intégrité du processus d’appel d’offres public », plaide l’entreprise dans sa poursuite.

Elle réclame 3 millions pour compenser une perte de profit et 2 millions en dommages punitifs.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

John Tooke

« Depuis la centralisation des opérations de déneigement en 2016, les autorités municipales ont traité le processus d’appel d’offres public comme une forme d’outil stratégique », a fait valoir John Tooke, jeudi, dans un courriel à La Presse. « Cela a conduit à près de [50 millions] de dollars de poursuites intentées par des entrepreneurs en déneigement contre la Ville de Montréal. »

La guerre ou presque

M. Tooke est loin d’être le seul entrepreneur en déneigement à poursuivre la Ville.

L’homme d’affaires « dit tout haut ce que la majorité de l’industrie pense tout bas », a fait valoir Jason Imbeault, de l’Association des entrepreneurs en déneigement du Québec (AEDQ).

La guerre entre la Ville et l’industrie, « si ce n’est pas encore débuté, ce n’est pas loin », a expliqué M. Imbeault, qui appuie la poursuite entreprise par M. Tooke. « C’est très difficile de faire entendre nos points de vue. »

La poursuite fait valoir que si les prix du déneigement sont élevés à Montréal, ce n’est pas parce que les entrepreneurs sont gourmands, mais plutôt parce qu’ils incluent « une compensation pour accepter d’être traités comme des rats ».

Jason Imbeault est aussi directeur du déneigement chez CMS Entrepreneurs Généraux, qui a perdu le contrat dans Ville-Marie lorsque Montréal a décidé de le confier à ses cols bleus. Il a indiqué que son entreprise réfléchissait toujours à la possibilité de porter l’affaire devant les tribunaux.

Avec la collaboration de Louis-Samuel Perron, La Presse