Des coussins à petits coeurs roses bonbon, des couvre-lits recouverts de chatons, des oreillers marqués «Love»: faisant fi du qu'en dira-t-on, des centaines de prisonniers anglais brodent dans leur cellule, histoire de s'évader au moins en pensées.

«Ca nous donne un but. Et une fierté»: au printemps dernier, celui qu'on nommera Richard aperçoit une affiche collée sur un mur de sa prison. L'organisation Finecellwork («travaux artistiques en prison») propose des cours de broderie sur canevas. «Je me suis dit: ça permet de s'occuper», raconte-t-il à l'AFP.

Richard repart dans sa cellule avec aiguilles et pelottes de laine, données par l'organisation. Et ce qui n'était qu'une simple curiosité devient une passion: «quand je commençais quelque chose, il fallait que je le finisse». Il brode «deux à trois heures la nuit et trois à quatre heures le jour».

«On s'ennuie tellement en prison et quand on a fini une broderie, on est tellement fier»: Richard se souvient de la réaction des prisonniers-brodeurs quand ils ont appris qu'un de leurs travaux ferait partie de l'exposition sur la courtepointe organisée à partir du 20 mars au prestigieux musée Victoria and Albert de Londres. «On s'est dit: waouh».

Et même les «gros durs» se laissent prendre au jeu, ajoute Richard dans un rire moqueur: «ils ont l'air brut comme ça, mais ils font de la couture très fine».

Dans une lettre adressée à Finecellwork, un prisonnier enfermé à vie raconte: «Un mec m'a un jour demandé de l'aider. Il avait cassé ses lunettes et il devait finir un motif. Je suis très viril, mais je lui devais bien ça. Je lui ai fait promettre de ne rien dire à personne et je me suis caché dans un placard».

«J'ai commencé à coudre à neuf heures du soir... jusqu'au lendemain matin où on est venu nous chercher pour le petit déjeuner. Une nuit entière avait passé, sans penser au suicide, sans larmes», ajoute le détenu.

Ils sont «deux à trois mille» à avoir participé au programme de Finecellwork depuis son lancement il y a douze ans, indique sa directrice Katy Emck. L'idée avait germé dans la tête d'une amatrice de couture qui effectuait régulièrement des visites en prison.

Un détenu passe en moyenne 17 heures par jour en cellule et la lecture est exclue pour la moitié d'entre eux, analphabètes. Rien d'étonnant, dès lors, que Finecellwork ait «connu un succès immédiat», selon Mme Emck. La responsable se souvient ainsi de sa première rencontre avec des détenus: «J'étais pas mal nerveuse. Ils étaient trente dans la salle et je leur ai demandé: voulez-vous faire de la tapisserie? Et toutes les mains se sont levées».

Depuis, «nous avons des listes d'attente pour tous nos cours». Les quelque deux cents bénévoles de l'association, entièrement financée par des dons privés, dispensent des cours dans 26 prisons. Plus de trois cents détenus y participent: 80% d'hommes et 20% de femmes, soit une surreprésentation des femmes qui comptent pour 4% de la population carcérale.

La totalité des profits est reversé aux brodeurs, soit «en moyenne quelques livres par semaine», selon Mme Emck. C'est toujours ça de pris pour payer «la cantine» (des cigarettes ou quelques petits extras) mais l'argent n'est pas la motivation principale.

«Je l'aurais fait pour rien parce que ça me donne le sentiment de faire quelque chose de positif», explique un prisonnier qui a brodé des reproductions de coussins du XIIe siècle pour le château de Douvres (sud).

«Ca les aide à se percevoir comme créateurs et non plus criminels», raconte Mme Emck. Occupés à tisser, ils en oublient aussi les mauvais sentiments: «ceux qui participent à FineCellwork ne se battent plus».

Les professeurs de l'association ont chacun un sifflet à leur ceinture quand ils donnent cours. Au cas où... Mais il n'a jamais servi.