Un bébé de 1 an, suivi de près par la direction de la protection de la jeunesse (DPJ) de la Montérégie-Est, s’est noyé chez sa mère à Sorel-Tracy la semaine passée. Son père – qui venait de se faire retirer la garde de la petite – blâme la DPJ et estime que cette mort aurait pu être évitée.

La petite Ophélie* s’est noyée le 24 mars dernier, la tête plongée dans six pouces d’eau, à l’intérieur d’un spa gonflable installé au sous-sol.

« Je ne veux pas qu’on parle de la mort de ma fille comme d’un incident banal », lance son père en regardant Monsieur Amour, la peluche favorite de la petite défunte.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Plusieurs questions restent sans réponse pour le père d'Ophélie depuis la mort de sa fille.

Puisque les frères de la victime sont actuellement placés sous la protection de la DPJ, nous ne pouvons révéler d’informations permettant de reconnaître la famille.

La mère du bébé, âgée d’une trentaine d’années, a la garde complète de quatre enfants de pères différents, âgés de 2 mois à 8 ans, explique le père.

Elle est suivie par la DPJ.

Lui-même a un dossier avec la DPJ, admet-il. Il a perdu la garde de la petite début février en raison de sa consommation excessive de cannabis et des conflits parentaux entre la mère et lui, indique-t-il d’emblée. Il s’est d’abord opposé à lui remettre l’enfant, suppliant la DPJ de placer Ophélie dans une famille d’accueil, raconte-t-il. Il craignait pour sa sécurité. Mais elle a été remise à sa mère à temps plein.

Noyée dans un spa

Ophélie a été en arrêt respiratoire durant tout son transport à l’hôpital. Le médecin responsable de la petite fille a annoncé au père accablé qu’on ne pouvait plus faire grand-chose pour la sauver, poursuit-il.

Aucun adulte n’a été témoin de la noyade, survenue dans le sous-sol d’une maison unifamiliale. Une mort accidentelle, lui a-t-on résumé.

Selon nos informations policières, la petite aurait été installée devant la télévision avec son frère de 2 ans le matin du drame.

La mère les aurait laissés sans surveillance pendant au moins 20 minutes. Elle serait montée à l’étage avec son autre enfant, un nourrisson de 2 mois.

La salle de jeux des enfants est dans la cave. Dans la pièce adjacente, la salle de lavage, se trouve le spa. Les deux sections du sous-sol sont séparées par une porte munie d’un crochet.

Quand la Sûreté du Québec (SQ) a été appelée sur les lieux, peu après 11 h, il était déjà trop tard. La mère a tenté de réanimer le bébé par le bouche-à-bouche, sans succès.

Selon nos informations, les agents ont trouvé une chaise à côté du spa, ce qui aurait pu permettre aux enfants d’y accéder. Le crochet avait été arraché, selon leurs observations. Le frère de la victime était debout dans le spa au moment de la triste découverte.

Un terrible accident, selon la mère

« C’était un terrible accident, ce n’est pas de la négligence », a dit la mère à La Presse.

La DPJ avait jugé les installations sûres pour les enfants lors d’une visite, a-t-elle précisé.

Elle a affirmé être une bonne mère et avoir fait de son mieux malgré l’épuisement lié à son statut de chef de famille monoparentale. Elle était contrainte de s’occuper seule de ses enfants depuis quelques semaines, alors qu’elle prenait des médicaments pour soigner une dépression.

J’avais mentionné à la DPJ que je trouvais ça lourd. Mon intervenante ne m’a pas écoutée. J’étais à bout. Je leur ai dit que j’étais sur le bord de mettre la petite en famille d’accueil, que c’était trop pour moi de m’occuper seule des quatre.

La mère d’Ophélie

Sa petite fille s’ennuyait de son père, avec qui elle passait une semaine sur deux auparavant. Elle commençait à se taper la tête sur les murs en disant « je m’ennuie de papa », a raconté la mère. « Il fallait que je gère ça. J’en avais beaucoup sur les épaules. »

Selon sa version des faits, elle a laissé sa fille et son fils au sous-sol devant l’émission Passe-Partout. Elle est effectivement allée à la salle de bains pour nourrir son autre enfant, le bébé de 2 mois, et préparer le plus vieux pour l’école.

« Ça fait des mois que je fais ça. Jamais je n’aurais pensé que mon fils serait capable d’arracher le crochet et d’entrer dans la salle avec le spa. C’est lui qui a arraché le crochet. »

Possible négligence ?

« Il devrait y avoir une enquête encore plus approfondie au lieu de dire que c’est un simple accident. J’ai peu de réponses, et mon cœur de père en a besoin », estime toutefois l’homme endeuillé.

Dans les derniers jours, la révolte a pris le dessus sur la tristesse chez lui.

La noyade est accidentelle, mais pour moi, c’est de la négligence. Je ne le vois pas autrement.

Le père d'Ophélie

L’homme de 30 ans se trouve dans la chambre de son logement de Sorel, où traînent des jouets, des poupées et des chaussures d’enfants, à côté d’un immense château de princesse.

Les comptoirs de la cuisine sont jonchés de briquets, de cendre et d’immenses bongs usés. Une forte odeur de cannabis et de cigarette règne dans la maison du père, qui s’installe dans un fauteuil berçant au bras branlant.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Plusieurs objets utiles aux soins d’un enfant étaient encore dans le logement du père.

Au début de l’hiver, explique-t-il, la mère a installé son spa gonflable à l’intérieur. Il a jugé le tout dangereux et a fait part de ses craintes à la DPJ.

Le couvercle censé empêcher les enfants d’accéder au spa était-il solidement fixé à la structure ? Comment un enfant peut-il arracher si facilement le crochet d’une porte ? Pourquoi installer le spa à côté de la salle de jeux des petits ? Pendant combien de temps les enfants étaient-ils seuls en bas ?

Ces questions tourmentent le père.

« Si c’est ça qui est considéré comme non dangereux pour la DPJ, je ne sais pas dans quel monde on s’en va. Les drapeaux étaient levés pour dire que c’était une maman qui avait de la misère. »

« Malheureux incident »

« Il s’agirait d’un très malheureux accident et, par conséquent, d’un drame familial », estime le CISSS de la Montérégie-Est, qui s’occupe des relations médias de la DPJ. « Il est nécessaire de bien distinguer négligence et accident. Le seul fait qu’un parent exerce son rôle seul ne peut à lui seul être un motif suggérant le retrait des enfants », s’est contentée de dire l’organisation dans un courriel transmis à La Presse.

« Pour moi, un spa sans couvercle et juste un crochet, ce n’est pas suffisant pour protéger des enfants. La DPJ aurait dû faire quelque chose », a rétorqué le père.

« Ils me l’ont enlevée pour la protéger, mais elle est morte là-bas, devant son frère de 2 ans », dit-il la voix enrouée et les yeux embués.

*Prénom fictif