« Je suis un homme noir de 50 ans. J’ai l’habitude. » Dès qu’il a vu la voiture de police ralentir près de son véhicule lui, Stanley Bastien a levé les yeux au ciel.

Le père de famille circulait sur l’autoroute 40 mercredi dernier pour aller à Rivière-des-Prairies. Il était alors à bord d’une auto louée.

L’agent lui a expliqué — très calmement — qu’il conduit une voiture louée. Qu’il est autorisé à lui demander de s’identifier. Il lui demande s’il a un permis valide.

Stanley Bastien, qui a été chauffeur de taxi pendant près de 20 ans et vice-président de la Coop de taxis de l’Est, collabore après avoir questionné le policier du SPVM.

Malgré la politesse et le professionnalisme de l’agent « qui fait ce qu’on lui a appris à faire », l’acte en lui-même demeure dégradant, estime M. Bastien.

« La circulation qui se crée fait en sorte que les gens me regardent comme si j’étais un moins que rien. Tout ce que nous pouvons faire est de sortir le [téléphone] et d’enregistrer un [l’interpellation] pour éviter les débordements », a-t-il décrit sur Instagram dans une publication où il diffuse la vidéo de l’interpellation. La séquence a fait le tour des réseaux sociaux, suscitant la colère virtuelle de plusieurs internautes outrés.

Mais après des années d’indignation, on devient blasé, poursuit M. Bastien, actuellement chauffeur de limousine à son compte. Il ne voulait pas jouer au héros militant en partageant son expérience de mercredi, plaide-t-il.

Il aurait pu pousser plus loin sa remise en question de l’intervention, s’énerver, crier. Mais M. Bastien est resté calme et coopératif. « J’aurais pu continuer à lui poser des questions, mais à la fin de la journée il est en position d’autorité… et moi je suis noir ! »

C’est pourquoi il a trouvé « utile et éducatif » de diffuser la vidéo filmée à l’aide d’une caméra de tableau de bord.

Je voulais donner une leçon. Que la vidéo soit un exemple de quoi faire quand ça t’arrive. On est rendu là, essayer d’éviter des malheurs. Lorsqu’un policier vous arrête, identifiez-vous et évitez que ça escalade.

Stanley Bastien, ancien chauffeur de taxi et vice-président de la Coop de taxis de l’Est

Une situation qui se dégrade

Depuis les trois dernières années, Stanley Bastien s’est fait interpeller par la police plus que durant sa jeunesse. Il le dit haut et fort : la situation quant au profilage racial se dégrade. On profite d’un climat de peur pour interpeller n’importe qui avec une voiture luxueuse ou louée. « Ça n’arriverait pas à une personne blanche. C’est grave, ce qui se passe. »

Ce n’est pas vrai que tous les policiers sont des pourris. Mais il y en a. Ça peut dégénérer. Alors coopère et attends que ça passe.

Stanley Bastien, ancien chauffeur de taxi et vice-président de la Coop de taxis de l’Est

Pendant la pandémie, il travaillait souvent passé le couvre-feu, avec autorisation. « Il pouvait y avoir une vingtaine d’autres chars, c’est moi qu’on choisissait d’interroger. » Ces situations se sont multipliées. Il a donc commencé à les filmer avec son téléphone. Pour éviter de se faire reprocher d’utiliser son cellulaire en voiture, il opte ensuite pour une caméra de tableau de bord.

Le Montréalais n’a pas l’intention de porter plainte, soupire-t-il. « Si je portais plainte chaque fois que ça m’arrive, je serais toujours dans la paperasse ! Je n’irai pas porter plainte pour avoir la police sur mon cas encore plus. »

En évitant toute confrontation et remise en question lors d’interpellations, il souhaite montrer l’exemple à son fils de 12 ans, qui risque selon lui de vivre la même chose lorsqu’il conduira. « Ça bouillait en dedans de moi. Mais je pensais à mon enfant. Il doit me voir calme dans ces situations. Connaissez-vous un papa blanc qui se dit la même chose en voiture ? Pas moi. »