Alors que la nouvelle juge en chef de la Cour supérieure s’alarme des inquiétantes ruptures de services dans les palais de justice, sa collègue de la Cour du Québec s’inquiète plutôt du manque de décorum en salle d’audience et du traitement médiatique « acerbe » et « critique » de récentes décisions en matière sexuelle.

Pour la première fois depuis 2019, les juges en chef des quatre tribunaux se sont adressés en personne aux centaines de juges et avocats, jeudi matin, lors du rassemblement de la rentrée judiciaire au palais de justice de Montréal. Le ministre de la Justice du Québec Simon Jolin-Barrette a également pris la parole. Ces discours permettent aux juges en chef de présenter les priorités de leur mandat.

Dans son discours d’une dizaine de minutes, la juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau, n’avait que deux « inquiétudes » à communiquer : « l’effritement du décorum lors des audiences » et le travail des médias. Un contraste majeur avec ses collègues, qui ont préféré évoquer les « attaques » en ligne contre les juges, le manque de financement du système judiciaire et les conséquences néfastes de la pénurie de main-d’œuvre.

La juge en chef Rondeau s’est ainsi indignée des « propos inadmissibles » publiés dans les médias dans le cadre de « décisions récentes au stade de la détermination de la peine pour des infractions commises dans un contexte sexuel ou conjugal ». Une allusion à peine voilée à l’affaire Simon Houle, cet ingénieur qui a tiré profit de la clémence du juge dans une affaire d’agression sexuelle. Ce jugement avait provoqué un tollé l’été dernier.

« On ne peut déclarer que les tribunaux rendent des décisions suivant la volonté populaire ou politique », a plaidé Lucie Rondeau. La juge en chef a ensuite renchéri en disant espérer que le « traitement médiatique critique des décisions judiciaires ne conduit aucun des juges à privilégier la décision la moins susceptible de susciter la controverse à celle qui s’impose ».

Quelques minutes plus tôt, la nouvelle juge en chef de la Cour supérieure du Québec, Marie-Anne Paquette, avait pour sa part tenu à remercier les journalistes « pour leur travail dans un contexte où les médias traditionnels, comme les tribunaux, sont plus souvent remis en question ».

La juge en chef Rondeau a brièvement évoqué son bras de fer avec le ministre Jolin-Barrette au sujet du récent allégement des tâches des juges de la Cour du Québec ; ceux-ci seront appelés à siéger moins souvent. « Je me permets de réitérer mon engagement à défendre les principes fondamentaux au bénéfice des justiciables, soit l’indépendance judiciaire institutionnelle des tribunaux », a-t-elle fait valoir.

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Le ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette s’adresse aux juges et aux avocats lors de la rentrée judiciaire au palais de justice de Montréal.

Dans son allocution, interrompue par les avocats en grève de l’aide juridique, le ministre de la Justice du Québec a fait valoir qu’un « important rattrapage » s’imposait en matière de délais judiciaires. « Nous devons tous redoubler d’efforts en ce sens », a déclaré Simon Jolin-Barrette.

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Les avocats de l’aide juridique ont interrompu le discours du ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette

La pénurie de main-d’œuvre entraîne de « réels bris de services »

Nommée cette année par le gouvernement Trudeau, la juge en chef de la Cour supérieure, Marie-Anne Paquette, s’est attardée aux problèmes de pénurie de main-d’œuvre dans les palais de justice. Ceux-ci entraînent « des délais, des retards, et des situations fâcheuses », a-t-elle dénoncé.

Les conséquences sont « réelles » et « significativement négatives » pour les citoyens, a insisté la juge en chef Paquette. Jumelée aux « délais inhabituels de remplacement des postes vacants des juges », la pénurie de main-d’œuvre « génère maintenant de réels bris de services ».

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Marie-Anne Paquette, juge en chef de la Cour supérieure

« Nous avons même demandé de documenter ce phénomène pour 2022, c’est tout dire. Cette nouvelle réalité, celle des bris de services, n’a pas sa place dans le système judiciaire de notre société de droit. Elle aussi doit devenir un mauvais souvenir », a maintenu la juge en chef Paquette.

La juge en chef de la Cour supérieure a également déploré un récent phénomène sur les réseaux sociaux, soit les attaques personnelles contre les juges. « Est-ce du populisme ? Est-ce de l’intimidation ? Peu importe. Permettez-moi d’insister sur ceci : chaque accusation injustifiée visant à discréditer un juge […] nuit fondamentalement à notre société de droit », a-t-elle fait valoir.

Dans son allocution, la juge en chef de la Cour d’appel du Québec, Manon Savard, a souligné l’importance d’allouer des ressources financières adéquates au système judiciaire, notamment pour mener à terme sa modernisation.

« Il nous appartient à tous […] de voir que la Justice obtienne la part de financement qu’elle mérite dans un état de droit si nous voulons maintenir une justice de qualité », a-t-elle affirmé.

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Manon Savard, juge en chef de la Cour d’appel du Québec

Le juge en chef de la Cour fédérale, Paul Crompton, a félicité la juge en chef Savard pour son intervention, qualifiant d’« essentielle » la nécessité d’un financement adéquat. Il a alors plaidé pour la mise en place d’un « mécanisme » pour s’assurer du financement permanent du système judiciaire afin qu’un « gouvernement de l’avenir » ne puisse faire « marche arrière ».