Un juge ne doit pas s’appuyer sur « des mythes et des préjugés » dans un procès pour agression sexuelle, vient de rappeler la Cour d’appel du Québec. Le juge de première instance rabroué reprochait à la plaignante de ne pas se souvenir de ses vêtements portés à 11 ans et de ne pouvoir expliquer pourquoi l’accusé possédait beaucoup de condoms.

Le plus haut tribunal de la province a récemment ordonné la tenue d’un nouveau procès dans cette affaire d’inceste passée sous le radar en chambre de la jeunesse de la Cour du Québec. L’accusé avait été acquitté des accusations d’agression sexuelle et d’inceste par le juge Luc Joly en juin 2021 dans un district non précisé. L’identité de l’accusé et de la victime est protégée par la loi, comme ils étaient mineurs à l’époque.

Les faits se seraient déroulés il y a 20 ans, alors que la plaignante avait 11 ans et son frère, 13 ans. Au procès, la plaignante a relaté plusieurs évènements à caractère sexuel impliquant son frère. Une fois, comme elle craignait de devenir enceinte, son frère lui a proposé d’utiliser un condom et de se livrer à une pénétration anale. Il avait choisi un condom dans un tiroir contenant plusieurs préservatifs, a-t-elle raconté.

Les supposées « failles » du témoignage

Le juge Luc Joly a souligné « plusieurs failles » dans le témoignage de la plaignante, lui reprochant entre autres d’être incapable de déterminer le nombre d’actes sexuels ou de situer les éléments dans le temps – ce qui est faux selon la Cour d’appel.

Le juge Joly a également reproché plusieurs fois à la plaignante d’être incapable de fournir certains détails, par exemple les vêtements qu’elle portait au moment des agressions ou ceux portés par l’accusé, et à qui appartenait un film pornographique regardé à l'époque ou qui l’avait trouvé.

Ainsi, même si la plaignante était « crédible et sincère », la fiabilité de son récit était affectée par le manque de contexte entourant les agressions, selon le juge, qui a ainsi fait bénéficier l’accusé du doute raisonnable.

Pour arriver à cette conclusion, le juge Joly a semblé inférer qu’un adolescent ne pouvait détenir autant de condoms. « La victime n’explique pas non plus pourquoi l’accusé a dans sa chambre un tiroir rempli de préservatifs, soit une situation plutôt extraordinaire pour un jeune homme qui est alors âgé de 13-14 ans », a-t-il conclu.

Des exigences problématiques

Selon la Cour d’appel, il s’agit d’une « généralisation sans aucun fondement factuel qui vicie le raisonnement du juge ». De plus, il est « particulièrement problématique » que le juge reproche à la victime son incapacité à expliquer pourquoi son frère avait plusieurs préservatifs dans un tiroir, estime la Cour d’appel.

La Cour d’appel rappelle qu’un juge doit prendre en considération l’âge du plaignant à l’époque lorsqu’il s’agit d’évènements survenus durant l’enfance, surtout en ce qui concerne des incohérences portant sur des questions connexes. En effet, une personne victime de sévices sexuels répétés à l’enfance peut omettre des détails périphériques de l’histoire, soutient la Cour d’appel. Or, le juge Joly n’a pas évalué cette question en vertu des règles pourtant établies en 1992 par la Cour suprême.

« Un procès criminel doit être tenu devant un juge qui analyse la preuve présentée d’une manière rationnelle et objective, avec un esprit ouvert, sans s’appuyer sur des mythes, des préjugés ou des généralisations qui n’ont aucun fondement factuel », ont ainsi conclu les juges de la Cour d’appel Julie Dutil, Simon Ruel et Guy Cournoyer, le 29 septembre dernier.

Autre erreur déterminante : le juge a erronément conclu que la Couronne devait faire la preuve que l’accusé avait 12 ans au moment des faits. Or, l’âge de l’accusé ne soulevait aucun problème, conclut la Cour d’appel. Cette erreur du juge s’est ensuite répercutée dans toute son analyse de la preuve.