Alexandre Beaudry, qui espérait recouvrer sa liberté durant ses procédures d'extradition, pourrait avoir contribué à la crise des surdoses aux États-Unis.

Le Québécois soupçonné par les autorités américaines d’être l’un des narcotrafiquants responsables de l’épidémie de surdoses d’opioïdes aux États-Unis, demeurera détenu pendant les procédures d’extradition, a tranché la Cour supérieure jeudi. Alexandre Beaudry, le « roi du Xanax », risque jusqu’à 40 ans de prison.

« Je suis désolée, M. Beaudry, vous ne me laissez aucun choix », a déclaré la juge Éliane B. Perreault en s’adressant à l’homme de 32 ans jeudi au palais de justice de Montréal.

Alexandre Beaudry se serait bâti depuis Montréal un véritable empire de vente de stupéfiants sur le web profond (darkweb) entre 2016 et 2017, sévissant sous de nombreux pseudonymes. En seulement un an et demi, le Montréalais aurait engrangé des centaines de millions de dollars en bitcoins.

Le présumé narcotrafiquant et ses complices auraient vendu aux États-Unis plus de 15 millions de comprimés contrefaits de Xanax et d’autres stupéfiants importés de Chine ou fabriqués au Canada, soutiennent les autorités américaines. Alexandre Beaudry se serait ainsi targué d’être le « roi du Xanax sur le web profond » [Darknet Xanax Kingpin] sur le célèbre forum Reddit, en février 2017.

Les autorités américaines allèguent que sous le « règne » d’Alexandre Beaudry à la tête d’un empire de distribution de drogue, les États-Unis ont subi une épidémie de surdoses d’opioïdes. Le Québécois faisait le trafic d’opioïdes extrêmement dangereux, comme le fentanyl et d’autres substances qui ont entraîné d’innombrables surdoses aux États-Unis, soutiennent les autorités américaines.

Ce portrait de supernarcotrafiquant semble à mille lieues de celui brossé par ses proches pendant l’audience sur remise en liberté, soit celui d’un jeune asperger « doux et non violent » qui n’est pas à « sa place » en prison. Une ordonnance de non-publication levée jeudi par la juge nous empêchait jusqu’alors de rapporter ces témoignages.

Le visage déformé par l’émotion, Alexandre Beaudry sanglotait en silence dans le box des accusés en écoutant ses proches témoigner, le 20 octobre dernier.

« À un moment donné, il est parti à vélo à Varennes. Quelqu’un lui avait dit : « Si tu as des peurs, tu dois les affronter. » Il avait 19 ans. Il est monté en haut d’un brise-glace et s’est jeté en bas. Il s’est cassé le talon. Il a une version littérale des choses. Pour lui, il affrontait ses peurs », a confié une membre de sa famille, qu’on ne peut identifier.

C’est ce grave accident qui a fait réaliser à ses proches que le jeune homme « spécial » depuis son enfance se trouvait dans le spectre de l’autisme. Devant la juge, la famille d’Alexandre Beaudry a longuement raconté à quel point le syndrome d’Asperger avait influencé toute sa vie. Un diagnostic qu’il acceptait mal. « Il a été dans le déni pendant au moins 10 ans », raconte une personne.

Dès son jeune âge, Alexandre Beaudry était « naïf et influençable », un enfant « un peu spécial », a confié une membre de la famille. Obsédé par les ordinateurs et comptant très peu d’amis, il ne « comprenait pas bien les consignes ». « Il a toujours été médicamenté », ajoute-t-elle.

Connaissances informatiques accrues

Les connaissances informatiques avancées d’Alexandre Beaudry ont été mises de l’avant par le Tribunal pour justifier la décision de le garder en détention. La commission de nouvelles infractions similaire n’est pas à écarter, indique la juge. Il aurait ainsi les capacités de détruire de la preuve à distance si l’accès à un ordinateur lui était donné.

« Les crimes se sont faits par le biais de l’internet. Aucune restriction au niveau de l’internet ne peut être garantie par la défense », tranche le tribunal.

Les autorités américaines affirment qu’Alexandre Beaudry cache une fortune en cryptomonnaie et en actifs. Un condo évalué à 1,7 million acquis sans prêt hypothécaire, une voiture Tesla à 187 000 $, plus d’un million de dollars en placements et des centaines de millions de dollars en bitcoins, a résumé la juge.

Mais selon sa famille, Alexandre Beaudry faisait plutôt fortune en vendant des livres sur l’internet. « La famille ne s’est jamais posée de questions sur ses sources de revenus. Leur amour inconditionnel embrouille leur jugement », a expliqué la juge.

Si sa libération avait été prononcée, Alexandre Beaudry aurait été sous la surveillance de sa famille.

Puisqu’il pourrait faire face à la justice américaine, il risque de ne jamais remettre les pieds sur le sol canadien. Peu après la décision, des proches de l’accusé ont supplié la juge de permettre à Alexandre Beaudry de sortir du box des accusés pour l’enlacer une dernière fois.

Dans un élan de compassion, la juge Perreault s’est d’abord montrée réceptive à cette demande exceptionnelle. L’agent présent lui a toutefois répondu que « ce n’était pas dans les procédures », laissant Alexandre Beaudry s’adresser à sa famille de loin.

« C’est une condamnation à mort ! Il ne passera pas au travers ! Il n’est tellement pas dangereux ! », a crié une proche – prise de violents sanglots – en direction de la juge.

En savoir plus
  • Différents noms
    AlpraKing, BenzoChems, Quantik, QuantikXanax, Montfort, Exilus, Evolyx sont les différents pseudonymes que la DEA soupçonne Beaudry d’avoir utilisés sur le web caché
    SOURCE : REQUÊTE FÉDÉRALE EX PARTE (EN L’ABSENCE DE L’AUTRE PARTIE) POUR OBTENIR UN MANDAT D’ARRESTATION CONTRE BEAUDRY
  • 15 millions
    Nombre de comprimés de Xanax qu’AlpraKing – un des surnoms qu’Alexandre Beaudry est soupçonné d’avoir utilisé – s’est vanté d’avoir vendus, surtout aux États-Unis
    SOURCE : REQUÊTE DES ÉTATS-UNIS POUR OBTENIR SON ARRESTATION À MONTRÉAL