(Ottawa) Le juge de la Cour suprême Russell Brown a bel et bien été impliqué dans une altercation qui est à l’origine de son congé forcé, mais il nie en bloc les informations voulant qu’un comportement harcelant de sa part ait mené à l’incident survenu dans un hôtel de l’Arizona.

Le mystère planait après que la Cour suprême du Canada eut annoncé, mardi dernier, que le magistrat de l’Ouest avait été « mis en congé », au motif qu’il faisait l’objet d’une plainte actuellement à l’étude au Conseil canadien de la magistrature (CCM).

Vendredi matin, le Vancouver Sun a publié un article détaillant des évènements qui se seraient déroulés au chic hôtel Omni Scottsdale Resort & Spa, où le magistrat a prononcé un discours le 28 janvier dernier lors d’un gala où l’ancienne juge Louise Arbour était honorée.

Au bar de l’hôtel, le juge Brown aurait « harcelé mes amis » et « parlé de son importance », et il aurait suivi certains d’entre eux jusqu’à leur chambre d’hôtel, d’après le récit qu’a fait Jon Crump, ancien combattant du Corps des Marines des États-Unis, en entrevue avec le journal de la chaîne Postmedia.

C’est là que l’ancien combattant aurait perdu patience, d’après sa version des faits. « Je lui ai dit : “Tu es à l’évidence ivre et les filles ont peur de toi.” Il m’a bousculé. […] Je l’ai repoussé, puis je lui ai donné deux coups de poing au visage et il est tombé sur le sol. »

Des policiers ont été appelés, et un rapport a été rédigé. Le policier qui s’est présenté sur les lieux vers 1 h 30 du matin a écrit que M. Crump avait une attitude « querelleuse, hostile et [il] semblait sous l’influence de l’alcool », selon le document policier que Postmedia affirme avoir consulté.

Le juge Brown se défend

Le magistrat nommé en 2015 a décidé de rompre son silence pour se défendre, vendredi.

« À l’origine, mon intention dans cette affaire était de ne pas faire de commentaires et de laisser le processus suivre son cours. À la lumière des fausses déclarations faites dans les médias par M. Crump, je suis obligé de répondre », dit-il dans une déclaration transmise par le cabinet d’avocats dont il a retenu les services.

Le juge Russell Brown explique avoir été invité à la table d’un groupe, auquel s’est ensuite joint l’ancien combattant, et qu’au moment de quitter le salon, « M. Crump s’est opposé à ce que je rejoigne le groupe, et soudainement, sans avertissement ou provocation, il m’a frappé à la tête à plusieurs reprises ».

Environ une heure après l’incident, l’homme a contacté les policiers, « et dans une tentative apparente d’éviter de faire face aux conséquences de mon agression, il m’a faussement décrit comme l’instigateur. Les preuves que j’ai fournies au Conseil corroborent mon récit de l’incident », ajoute le magistrat.

Il conclut en faisant part de sa déception d’avoir plongé l’institution dans l’embarras.

« Du jamais vu »

L’affaire qui ébranle les colonnes du plus haut tribunal au pays est « inédite » dans les annales canadiennes, constate Stéphanie Chouinard, professeure adjointe au département de science politique du Collège militaire royal du Canada à Kingston : « C’est même, à ma connaissance, du jamais vu. »

Le plus haut tribunal au pays, qui se targue d’être transparent, aurait-il dû faire cette annonce plus tôt ? « On est un peu en terrain inconnu. Peut-être qu’on a tenté de ménager la chèvre et le chou, en laissant l’enquête suivre son cours sans qu’il y ait trop d’influence externe sur le processus », avance Mme Chouinard.

Absence remarquée

La Cour a attendu jusqu’à mardi, cette semaine, pour annoncer que le magistrat était en congé forcé depuis le 1er février dernier. Son absence sur le banc de neuf juges avait été remarquée, et elle commençait à susciter des questions.

Aucune des deux institutions n’a fourni de détails sur la nature de la plainte qui a été signalée le 29 janvier dernier et confiée au juge en chef de la Cour suprême de Colombie-Britannique, Christopher Hinkson, à laquelle le juge Brown a répliqué le 20 février dernier.

La Cour suprême n’a pas voulu faire de commentaires au sujet des informations qui ont circulé, vendredi.

Le CCM n’a pas été beaucoup plus loquace. « Le Conseil procède en temps opportun et conformément à ses procédures d’examen. Le Conseil ne fera pas d’autres commentaires sur cette affaire pour le moment », a déclaré sa porte-parole, Johanna Laporte.