Un pédophile qui sera expulsé du pays à sa sortie de prison devrait-il recevoir une peine plus clémente parce que sa détention coûte cher à l’État ? C’est l’un des arguments lancés par son avocat pour justifier une peine de cinq ans à un homme qui a violé une fillette pendant des années.

Ce qu’il faut savoir

  • Le Montréalais de 42 ans a été déclaré coupable le 11 avril de trois chefs, dont agression sexuelle.
  • La Couronne réclame neuf ans de prison ; la défense, cinq ans.
  • Le prononcé de la peine est prévu le 11 mai prochain.

« Chaque détenu coûte une fortune à la société canadienne. On est en pénurie d’employés, on est actuellement dans une situation de conflit avec les employés fédéraux, et là, on va proposer une sentence à un juge en disant : “Occupez-vous pas de ça ?” Je ne pense pas qu’on puisse faire ça », a plaidé MMarc Labelle jeudi lors des observations sur la peine de Miguel Antonio Abarzua Poblete, au palais de justice de Montréal.

Le Montréalais de 42 ans a été reconnu coupable par un jury, au début du mois, d’avoir fait subir des sévices sexuels extrêmement dégradants à une victime de l’âge de 11 ans à 14 ans. L’agresseur avait notamment célébré la perte de la « virginité » de la victime. « On m’a volé mon enfance », avait témoigné l’adolescente de 16 ans au procès.

Comme il est résident permanent, ce Chilien d’origine est assuré d’être expulsé du Canada à la fin de sa peine, conviennent les parties. Ainsi, il ne sera pas admissible à une libération conditionnelle et devra passer l’entièreté de sa peine derrière les barreaux. Seule une infime partie des délinquants subissent un tel sort, puisque la libération conditionnelle est automatique aux deux tiers de la peine.

C’est donc dans ce contexte particulier que MLabelle – un criminaliste d’expérience – a suggéré au juge Pierre Labrie de considérer l’imposition d’une peine moindre de cinq ans d’emprisonnement. Notons qu’il n’a soumis aucune jurisprudence pour justifier sa position.

« Si vous dites : “Je n’ai pas à tenir compte qu’il va être expulsé, qu’il va devoir faire toute sa peine”, ma suggestion ne tient pas. Il faut que ce soit plus élevé, plus autour de six ans », a précisé MLabelle, qui estime que sa suggestion envoie néanmoins « un message clair » au public.

Une peine conséquente de neuf ans de détention est réclamée par le ministère public compte tenu des nombreux facteurs aggravants : les actes sexuels très graves, dont des relations anales, la fréquence des agressions, l’âge de la victime, l’ampleur des séquelles et la « manipulation » exercée par l’accusé. La procureure a aussi souligné le fait que Poblete avait tenté de faire retirer la plainte de la victime, un comportement « hautement répréhensible ».

« Je me sentais sale »

Maintenant âgée de 16 ans, la victime a fait preuve d’un « extrême courage » pour dénoncer son bourreau et raconter son histoire au jury, avait insisté MNadine Haviernick après le verdict. Insomnie, anxiété, difficultés scolaires, culpabilité : l’adolescente est toutefois marquée au fer rouge par les horreurs qu’elle a subies.

« Je me sentais coupable, même si je n’avais pas à l’être. Je me sentais sale. Tout ce temps-là, je n’étais qu’un enfant qui était manipulé. […] Je voudrais enlever toutes ces pensées traumatisantes de ma jeunesse. Mais c’est difficile quand tu as vécu tellement de choses obscures et anormales pour un enfant, un enfant qui n’a pas demandé qu’on l’agresse », a confié l’adolescente dans une lettre poignante lue à la cour par la procureure.

Dans sa lettre, la victime s’est adressée à la fillette de 11 ans qu’elle était il y a quelques années. « Si je pouvais lui parler, je lui aurais dit d’en parler, qu’il ne faut pas avoir peur, qu’elle est plus forte qu’elle le pense. Qu’il ne faut pas qu’elle se sente coupable, parce que ce n’est pas de sa faute. »

Sur une note d’espoir, l’adolescente a ajouté que ce dénouement permet enfin, aujourd’hui, de « donner une paix à la petite fille à l’intérieur » d’elle. « À partir d’aujourd’hui, je peux croire plus en moi-même. Enfin, je sens que je suis libre de ce gros péché qui ne m’appartient pas », a-t-elle conclu.

Le juge rendra sa décision le 11 mai prochain.