(Montréal) Le ministère de la Sécurité publique se fait écorcher par le Tribunal administratif du travail pour sa façon de gérer un litige avec des constables spéciaux et leur syndicat.

Le Tribunal a donné raison au Syndicat des constables spéciaux du gouvernement du Québec, qui alléguait que le ministère, en tant qu’employeur, avait entravé ses activités. « La conduite de l’Employeur constitue de l’ingérence dans les affaires du Syndicat », a-t-il tranché.

Le Tribunal donne aussi raison à des constables spéciaux qui avaient été suspendus pour une journée. Il annule leur suspension et ordonne au ministère de leur verser, à titre d’indemnité, l’équivalent de leur salaire et des avantages sociaux, dont la mesure les a privés, le tout avec intérêt à compter du dépôt de la plainte, en septembre 2022.

Et il constate également que le ministère a aussi cherché à les contraindre de s’abstenir de participer à une activité syndicale.

Le fond du litige

Le litige entre les parties provient du fait que, pour suppléer à un manque d’effectif, le ministère de la Sécurité publique avait demandé aux constables spéciaux d’assumer la prise en charge des personnes venant d’être condamnées par un juge jusqu’à leur transfert dans un établissement de détention. Auparavant, cette prise en charge était assurée par des agents des services correctionnels.

Le syndicat considérait que cette responsabilité n’incombait pas à ses membres et que leur imposer ces tâches posait des problèmes de sécurité, tant pour eux que pour le public.

« Par exemple, les constables spéciaux doivent circuler dans les aires publiques du palais de justice pour escorter la personne condamnée vers le lieu où elle sera gardée. Cette situation peut entraîner des risques d’altercation avec le public et provoquer des comportements imprévisibles de la part du détenu lui-même ou de toute autre personne qui se trouve sur les lieux. Contrairement aux agents des services correctionnels, les constables spéciaux n’ont pas accès aux aménagements sécuritaires de la Direction générale des services correctionnels (corridors sécurisés, quartiers cellulaires et satellites) pour isoler la personne incarcérée jusqu’à son transport dans un établissement de détention », explique le Tribunal.

Le syndicat avait déposé un grief collectif, en décembre 2021, pour contester l’ajout de ces nouvelles tâches.

En même temps, les parties s’affairaient depuis des mois à négocier la convention collective des constables spéciaux. Et il y a un manque de constables spéciaux.

En juin 2022, le syndicat avait donné le mot d’ordre à ses membres de ne plus prendre en charge les détenus, puisque ce travail relève plutôt des agents des services correctionnels.

Le ministère s’était alors adressé au Tribunal administratif du travail. En juillet, celui-ci avait refusé de statuer sur le conflit qui oppose les parties au regard de la responsabilité des détenus, mais il avait ordonné au syndicat de mettre fin à son mot d’ordre.

Et les constables spéciaux « se conforment à cette ordonnance sans délai », relate le Tribunal.

Malgré tout, quelques semaines plus tard, l’employeur avait quand même suspendu pour une journée des constables spéciaux, affirmant que le refus concerté des constables spéciaux de prendre en charge les personnes nouvellement sentenciées ne constituait pas une activité syndicale protégée par le Code du travail, mais plutôt un ralentissement de travail illégal.

Le syndicat avait donc déposé plusieurs plaintes au Tribunal.

Dans sa décision, le Tribunal écrit notamment que « la conduite de l’employeur concernant l’imposition de sanctions laisse perplexe et convainc le Tribunal qu’il s’agit d’un prétexte pour sanctionner l’activité syndicale des plaignantes ».

Il ajoute que « la sévérité de la sanction étonne également et laisse présumer qu’il s’agit là d’un prétexte pour réprimer l’activité syndicale ». Entre autres, « à aucun moment il ne cherche à faire la lumière sur les évènements », critique le Tribunal.

Aussi, « il ignore les facteurs atténuants », comme le dossier disciplinaire vierge des plaignantes.

« Tous ces éléments jettent donc un doute évident sur l’authenticité des motifs soulevés par l’Employeur pour suspendre les plaignantes et convainquent le Tribunal qu’il s’agit d’un prétexte pour sanctionner leur participation à une activité syndicale concertée », tranche le Tribunal.

« En sanctionnant individuellement les salariés ayant participé au mot d’ordre syndical malgré leur respect de l’ordonnance de redressement rendue par le Tribunal, l’Employeur a cherché à réduire l’influence du Syndicat et à l’affaiblir, ce qui est illégal », conclut-il.