Les parents d’une élève montréalaise dénoncent le traitement par la protectrice de l’élève de leur plainte visant un enseignant. Ils ont confié à La Presse leur parcours du combattant pour protéger leur fille. Une histoire qui met en lumière l’opacité du traitement des plaintes et la pertinence de la récente réforme du Protecteur de l’élève.

« La protectrice de l’élève n’a rien protégé du tout. C’était le pire du pire ! », s’exaspère le père, en entrevue. « Ça a été la cerise sur le sundae ! », lance la mère.

Cinq ans plus tard, les parents de Clémence* sont toujours sidérés par le traitement que leur a réservé en 2018 la protectrice de l’élève de la commission scolaire de Montréal (devenue depuis le centre de services scolaire de Montréal). Pour préserver l’anonymat de leur fille, nous avons choisi de ne pas révéler le nom des parents ni celui de son école primaire.

Tout a commencé quand leur fille de 6 ans, qui fréquente la maternelle, leur confie qu’un enseignant de première année, M. Paul*, l’a rejointe aux toilettes et lui a demandé de garder un secret. « Ne le dis pas à Mme Nicole », lui aurait dit l’enseignant. Cette confidence est prise très au sérieux par ses parents.

L’enseignante de la fillette, Mme Nicole*, fait alors de troublantes révélations aux parents : elle a déjà porté plainte contre son collègue auprès de la direction en raison de son comportement envers l’enfant.

« L’année où j’ai eu la petite, ça a été automatique, il n’en avait que pour elle », confie Mme Nicole en entrevue avec La Presse. Elle a requis l’anonymat par crainte de représailles. Mme Nicole soutient que M. Paul louait l’intelligence de la petite et répétait qu’il souhaitait l’avoir dans sa classe en première année.

En entrevue avec La Presse, M. Paul nie fermement les allégations de la fillette. S’il voulait « recruter » Clémence dans sa classe pour l’année suivante, c’est parce qu’elle était parmi les rares élèves « allumés » de cette école défavorisée. Il concède avoir « probablement » commis une « erreur » en tentant de convaincre l’enfant.

J’ai continué de travailler pour la commission scolaire après. Je n’ai jamais eu de suite à cette histoire ou de nouvelles accusations.

M. Paul

L’enseignant souligne également à quel point il est difficile pour un homme d’enseigner au primaire. « Notre réputation et notre emploi peuvent cesser du jour au lendemain », déplore-t-il.

Nous ne révélons pas son identité étant donné qu’il n’est visé par aucune accusation criminelle.

Climat de tension

Les révélations de Mme Nicole laissent sans voix les parents de Clémence. Ils remuent alors ciel et terre pour tenter de comprendre ce qui se passe entre M. Paul et leur fille. Police, Direction de la protection de la jeunesse, direction de l’école : ils sonnent à toutes les portes pour faire la lumière sur cette affaire.

Au fil des semaines, les parents ne reçoivent que des bribes d’information de la part de la direction. « La directrice nous dit : “On ne peut pas en parler, ce sont les relations de travail” », raconte la mère.

La mère finit par parler avec la patronne de la directrice à la commission scolaire de Montréal (CSDM), qui tente de l’apaiser : « [Elle dit] : “Rassurez-vous, votre fille ne sera pas dans sa classe l’an prochain” », relate la mère.

Tout le monde confirme que nos plaintes sont valides, mais on ne nous dit pas ce qu’on fait.

La mère de Clémence

Début juin 2018, la mère contacte la protectrice de l’élève de la CSDM, Louise Chénard, pour lui demander d’enquêter sur les agissements « préoccupants » de M. Paul. Une dizaine de jours plus tard, la mère rapporte à la protectrice avoir été intimidée par M. Paul à la sortie des classes.

« J’ai senti énormément de menaces de ce monsieur », confie la mère en entrevue, la voix étranglée par l’émotion. Ce soir-là, elle a tellement peur qu’elle passe la nuit chez un voisin. À partir de cet épisode, elle retire sa fille de l’école jusqu’à la fin des classes.

En entrevue, M. Paul affirme avoir été « obligé de changer d’école » à la suite de son interaction avec la mère. « J’ai eu une sanction disciplinaire », dit-il, sans donner plus de détails. Il reproche à la mère de l’avoir « fusillé » du regard et d’être venue le voir pour le « tester ». « C’est tordu », dit-il. Mais il ne l’a « jamais » menacée, jure-t-il.

« Relations de travail »

Surprise à la dernière semaine de l’année : la directrice offre aux parents de venir elle-même chercher Clémence à la maison. Un récit confirmé par Mme Nicole. « La directrice était dans la classe, pour faire barrage, et ne quittait pas notre fille des yeux », raconte la mère.

La protectrice de l’élève semble d’abord prendre au sérieux ces allégations. « Cet enseignant manque de jugement et pose des gestes qui suscitent un grand inconfort et un malaise. Je crois qu’il se sent injustement accusé, mais il n’aide pas sa cause en agissant de la sorte. C’est très désolant », répond-elle à la mère dans un courriel consulté par La Presse.

Mais sa réponse finale, deux jours plus tard, renverse les parents de Clémence. La protectrice leur écrit ne pas pouvoir régler cette plainte, puisqu’elle « relève des relations de travail ».

« Le dossier est entre les mains de la direction et doit être géré par celle-ci », écrit-elle, en signalant la « confidentialité » de l’affaire.

« Vous avez été très inquiète de la situation et vous avez tiré des conclusions. Celles-ci ont une portée importante sur le plan professionnel et il ne peut y avoir de doute. Je n’excuse pas son comportement, mais l’absence de dialogue ne fait qu’attiser les incompréhensions et les craintes de part et d’autre. Il serait peut-être judicieux d’avoir une médiation », conclut la protectrice de l’élève, en rappelant aux parents leur refus de rencontrer M. Paul.

Un courriel reçu comme une claque par les parents. « J’étais au bout du rouleau, je ne pouvais pas croire qu’on me répondait ça », s’étonne encore la mère. Celle-ci réplique à la protectrice en lui reprochant de « protéger » l’enseignant.

Mme Nicole affirme n’avoir jamais été contactée par la protectrice de l’élève pour obtenir sa version des faits. « C’est très bizarre », réalise-t-elle aujourd’hui. À son avis, il aurait dû y avoir une enquête de fond sur cette affaire. Cependant, elle assure que la directrice de l’époque a bien géré le dossier.

Maintenant protectrice de l’élève dans un autre centre de services scolaire, Louise Chénard a refusé de nous accorder une entrevue. La protectrice de l’élève du centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) n’a pas donné suite à nos demandes d’entrevue.

Un nouveau système de traitement des plaintes doit entrer en vigueur à l’automne 2023. Une loi adoptée l’an dernier par Québec a mené à la création d’un poste de protecteur national de l’élève, assisté de 17 protecteurs régionaux de l’élève. Ceux-ci seront plus indépendants et auront davantage de pouvoir pour mener leurs enquêtes.

Cette réforme découle notamment d’un rapport du Protecteur du citoyen du Québec qui avait fait état en 2017 de nombreuses lacunes dans l’examen des plaintes dans les écoles. Selon ce rapport, les parents devaient affronter une « course à obstacles » avant même de pouvoir s’adresser au protecteur de l’élève, dont l’indépendance était perçue comme discutable. Or, dorénavant, les parents et les élèves pourront s’adresser directement à leur protecteur régional de l’élève pour porter plainte dans certaines circonstances. Les protecteurs pourront également lancer une enquête de leur propre chef et devront traiter en urgence les signalements de nature sexuelle.

Le « cours normal » du processus de plainte

À l’été 2018, c’est le soulagement pour les parents de Clémence. La directrice leur écrit que M. Paul ne sera pas de retour à l’école. « J’ai tellement pleuré… je ne peux pas vous dire à quel point j’ai pleuré », confie la mère, en entrevue.

Les parents de Clémence n’ont jamais su ce qu’il était advenu de leur plainte.

Il y a beaucoup trop de confidentialité dans un dossier comme celui-là. Pour protéger l’image de qui ? De l’école ? Du centre de services scolaire ? De tout le monde qui se tait ?

La mère de Clémence

Interpellé par La Presse, le CSSDM assure avoir effectué rapidement « les vérifications et les actions nécessaires » dans ce dossier. « Le processus de plainte, lequel s’est amorcé par une dénonciation auprès de la direction de l’école, a suivi le cours normal. Le service des ressources humaines a, par ailleurs, été impliqué », a expliqué par courriel le porte-parole Alain Perron.

M. Paul a démissionné du CSSDM en novembre 2022, indique le porte-parole. Après 2018, M. Paul a travaillé dans une autre école primaire montréalaise, a confié ce dernier à La Presse. Il enseigne aujourd’hui à la commission scolaire Eastern Townships.

Une porte-parole de cette commission scolaire a affirmé à La Presse qu’aucune « problématique particulière » n’avait été décelée lors de l’embauche de M. Paul, mais que des « vérifications » supplémentaires seront effectuées. « À la lumière de ces vérifications, soyez assuré que toute décision sera prise dans l’intérêt de nos élèves », a indiqué la porte-parole.

* Prénoms fictifs pour protéger l’anonymat