Sa victime était esclave dans un condo de Vancouver

Laurie* avait l’impression d’être une esclave. Coincée dans un Airbnb de Vancouver, elle devait se prostituer du matin au soir. Son bourreau ? Elle le connaissait à peine. Depuis la prison, le proxénète Sergei Klenovsky dirigeait son organisation avec une facilité déconcertante, et une poigne de fer.

« Je vais continuer à pimp assis sur mon cul et that’s it », se vantait Sergei Klenovsky dans un message texte envoyé à sa subalterne. Détenu à la prison de Bordeaux (Établissement de détention de Montréal) pour une autre affaire en 2020, le proxénète n’a eu aucun mal à se procurer un cellulaire pour continuer à gérer son « entreprise ».

Sergei Klenovsky a ainsi échangé des milliers de messages textes avec sa complice Myrka Hebel, la « mini-boss » de son organisation. Se considérant comme un « agent d’artistes » gérant ses « chanteuses », le proxénète donnait les ordres à ses sbires pour recruter des femmes. Même détenu et à des milliers de kilomètres, il dirigeait tout.

La Presse révélait en janvier dernier que les cellulaires étaient omniprésents dans les prisons montréalaises. Certains prisonniers publient même sans gêne des photos sur les réseaux sociaux depuis leur cellule. Plusieurs, comme Sergei Klenovsky, utilisent leur appareil pour poursuivre leurs affaires criminelles.

Lisez l’article « Sur Instagram... même en prison »

Au terme d’un long procès amorcé en avril 2022, la juge Flavia K. Longo a reconnu coupable Sergei Klenovsky sur toute la ligne la semaine dernière au palais de justice de Montréal. L’homme de 27 ans risque une importante peine de prison pour le chef de traite de personnes, un crime souvent décrit comme une forme d’esclavage moderne.

En « mode survie »

Jeune étudiante montréalaise, Laurie se retrouve à la rue quand sa mère la met à la porte à la fin de 2019. Sans le sou, elle se tourne vers une amie qui la met en contact avec Fanny Fortin (dont le procès est prévu en septembre prochain), qui l’initie à la prostitution à Niagara Falls.

En « mode survie », Laurie tombe ensuite dans les griffes de Myrka Hebel, une jeune escorte qui prétend être son amie. La subalterne de Sergei Klenovsky suit les ordres de son patron et amène Laurie à vivre une vie de quasi-esclave à Vancouver.

Sa vie se résume à manger, dormir et faire de la prostitution : elle reçoit entre 5 et 15 clients et travaille de 7 h le matin à 2 h dans la nuit. Elle ne prend aucune décision. À un certain moment, Myrka Hebel accapare 100 % des gains de Laurie, toujours au bénéfice du patron Klenovsky.

Laurie est complètement dépendante de son « amie ». Elle peut seulement acheter des choses « essentielles » et doit obtenir la permission. À l’épicerie, elle ne peut acheter de poisson, puisque c’est trop cher.

« Myrka Hebel mentionne à Laurie qu’il faut travailler 24/7 pour trouver suffisamment d’argent pour faire sortir [Klenovsky] de prison », relate le jugement.

Laurie n’a pas d’autre choix que d’obéir. Elle a peur de Myrka Hebel – qui s’est déjà vantée d’avoir poignardé un homme – et de la mystérieuse « famille » de l’organisation de Klenovsky.

Sauvée par un amoureux

Un jour, Laurie tombe amoureuse d’un client. Ce sera sa bouée de sauvetage. Les deux tourtereaux tentent alors de se voir en cachette. Leur relation provoque toutefois le courroux de Myrka Hebel, qui menace de la renvoyer à Montréal et de faire tuer son copain. Au téléphone, Klenovsky dénigre Laurie, alors que sa complice menace de la frapper.

Quand Laurie tente de partir, Myrka Hebel verrouille la porte, ferme les rideaux et la prévient que le patron va envoyer quelqu’un pour elle. Myrka Hebel finit par permettre à Laurie de voir son copain une fois par semaine.

C’est le « déclic » pour la jeune femme : elle ne veut pas se prostituer. En pleine nuit, sous la pluie, Laurie s’en va, sans le sou, et se réfugie chez son copain. Elle porte ensuite plainte à la police.

Selon la juge, Laurie a livré un témoignage « fiable, crédible, constant et convaincant ».

Klenovsky tirait les ficelles

Au procès, Klenovsky a tenté de faire croire qu’il était un « fraudeur » et non un proxénète. Il a prétendu s’adonner à une fraude de type « move EMT », qui consiste à escroquer des clients en se faisant passer pour une escorte sur un site spécialisé. Un témoignage « fabriqué » pour nier son rôle dans l’affaire, a tranché la juge.

Car c’est lui qui tirait les ficelles de la traite de personnes, comme le démontrent les milliers de messages textes déposés en preuve. Klenovsky fixait des objectifs financiers à sa subalterne, contrôlait l’accès aux comptes bancaires, incitait Hebel à contrôler Laurie, choisissait les nouvelles recrues. Bref, il était à la « tête d’une organisation ».

« Les messages textes échangés entre [Myrka Hebel] et l’accusé révèlent qu’il dirige l’opération et qu’il alloue une position à tous les membres de l’organisation. Il mène et il a le pouvoir décisionnel de sanctionner les décisions prises par [Hebel] », soutient la juge.

Le dossier reviendra en août en vue des observations sur la peine.

MAlexandre Gautier et MChantal Michaud ont représenté le ministère public, alors que MRamy El-Turaby a défendu l’accusé.

*Prénom fictif, pour préserver l’anonymat de la victime