Une femme qui dit avoir été recrutée à 17 ans pour offrir des services sexuels au milliardaire Robert Miller pourra rester anonyme aux yeux du public, mais devra dévoiler son identité à l’homme d’affaires montréalais afin qu’il puisse se défendre si elle souhaite persister dans ses démarches pour entreprendre une action collective contre lui, a tranché un juge.

L’histoire jusqu’ici

2 février : Radio-Canada diffuse un reportage de l’émission Enquête sur le « système Miller ». Plusieurs femmes disent avoir été recrutées alors qu’elles étaient mineures pour offrir des services sexuels contre rémunération à Robert Miller.

3 février : Robert Miller quitte la présidence de Future Electronics, mais demeure propriétaire de la multinationale de distribution de composantes électroniques.

22 février : Une demande d’action collective est déposée par « S. N. » au nom de toutes les jeunes filles qui auraient été recrutées alors qu’elles étaient mineures pour offrir des services sexuels à l’homme d’affaires.

10 mai : Une autre femme dénonce le « Réseau Miller » et entame une poursuite civile individuelle de 8 millions.

C’est ce qu’a décidé le juge de la Cour supérieure du Québec Donald Bisson, dans le cadre de la demande d’action collective intentée en février dernier contre M. Miller et son entreprise, Future Electronics. La femme à l’origine de la demande a toutefois décidé de porter cette décision en appel, dans l’espoir de ne jamais avoir à donner son nom au milliardaire, selon son avocat.

« Notre cliente respectera toute décision finale du tribunal. Pour l’instant, elle a l’intention de porter le récent jugement en appel devant la Cour d’appel du Québec », a confirmé MJeff Orenstein, du cabinet Consumer Law Group, lorsque La Presse l’a joint.

Les suites d’un reportage choc

L’affaire découle d’un reportage de Radio-Canada, dont les journalistes ont recueilli les témoignages d’une dizaine de femmes qui disent avoir eu des relations sexuelles contre de l’argent avec Robert Miller entre 1994 et 2006. Six d’entre elles auraient affirmé qu’elles étaient mineures au moment des faits.

En février, après la diffusion du reportage, une femme qui s’identifie seulement sous les initiales « S. N. » a déposé une demande d’action collective contre Robert Miller et son entreprise afin d’obtenir des dédommagements au nom de « toute personne ayant fourni des services sexuels à Robert Miller alors qu’elle était mineure ou ayant été victime d’exploitation sexuelle de la part de M. Miller alors qu’elle était mineure ».

La demanderesse affirme que ses rencontres avec M. Miller ont eu un « sérieux effet psychologique négatif » sur elle. Elle affirme s’être sentie honteuse, coupable, déprimée et s’être automédicamentée avec la drogue et l’alcool.

Ses avocats disent avoir été contactés par une trentaine de femmes qui pourraient se joindre à une action collective si elle est autorisée, ce qui n’est pas encore le cas à ce stade.

Nécessaire à une défense pleine et entière

Dans le cadre des procédures, le nom de « S. N. » peut être protégé par un interdit de publication si elle le souhaite, puisqu’elle allègue avoir été victime d’inconduites sexuelles alors qu’elle était mineure. Mais elle a aussi déclaré à la cour qu’elle refusait que son nom soit dévoilé à Robert Miller et à Future Electronics.

« Les avocats des défendeurs ont en effet demandé par courriel aux avocats de la demanderesse l’identité de celle-ci, ce qui leur a été refusé par courriel et même oralement pendant l’audience », résume le juge Bisson dans sa décision.

Le magistrat a estimé qu’une telle façon de procéder ne permettrait pas aux défendeurs de se défendre dans le cadre de l’action collective.

« Le droit à une défense pleine et entière nécessite que les défendeurs aient accès au nom de la demanderesse », écrit-il dans son jugement.

« La demanderesse doit donc donner son nom aux défendeurs et à leurs avocats, qui devront cependant tous en préserver la confidentialité », poursuit-il. Dans le cas de Future Electronics, qui emploie des centaines de personnes, un seul représentant de l’entreprise sera désigné pour obtenir l’information, et il ne pourra la faire circuler.

Des témoignages anonymes

Les avocats qui pilotent la demande d’action collective avaient aussi demandé au juge d’interdire à l’avocat de M. Miller de contacter des femmes pour leur offrir des règlements à l’amiable dans le cadre de cette affaire. Deux femmes, qui souhaitaient demeurer anonymes, disaient en effet avoir discuté de la question avec l’avocat de l’homme d’affaires. L’une d’elles disait s’être fait offrir 72 000 $ pour régler la question sans passer par l’action collective.

Comme ces deux femmes refusaient de dévoiler leur nom aux avocats de Robert Miller dans le cadre des procédures, le juge n’a pas tenu compte de leurs déclarations et n’a rien ordonné à l’avocat en ce qui a trait à d’éventuelles rencontres avec des femmes concernées par le dossier.

Robert Miller a toujours nié les allégations le visant. Il a quitté la direction de Future Electronics, mais demeure propriétaire de la multinationale québécoise qu’il a fondée en 1968. Il affirme que des personnes l’attaquent pour obtenir de l’argent.

« M. Miller nie avec fermeté et véhémence les allégations malicieuses faites contre lui et confirme qu’elles sont fausses et complètement non fondées et qu’elles ont été soulevées à la suite d’un divorce acrimonieux. Elles sont maintenant répétées pour un gain financier », affirmait un communiqué diffusé par son entreprise en février.