« C’est comme le chef des fomenteurs de haine dans le monde et vous suggérez une sentence de trois mois ! » Le juge Manlio Del Negro n’arrivait pas à croire mercredi que la Couronne puisse réclamer une peine très clémente de trois mois de prison à l’égard d’un influent néonazi coupable d’avoir fomenté la haine contre les Juifs.

Les crimes commis par ce Québécois de 36 ans sont « extrêmement graves ». Sous le pseudonyme de Zeiger, Gabriel Sohier-Chaput était à la fin des années 2010 l’auteur le plus prolifique du très influent site néonazi The Daily Stormer, une publication néonazie et suprémaciste blanche « horrible », selon le juge. Dans un texte haineux au cœur du procès, il a exhorté ses nombreux lecteurs à « passer à l’action » contre les Juifs.

Quand le procureur de la Couronne MPatrick Lafrenière a suggéré d’imposer une peine de prison de trois mois mercredi au palais de justice de Montréal, le juge Del Negro s’est montré abasourdi. Il a alors énuméré pendant une dizaine de minutes des peines plus sévères imposées partout au pays dans des dossiers semblables.

Étonnamment, l’avocat de la défense MAntonio Cabral s’est finalement rallié à la suggestion de la Couronne, alors qu’il voulait réclamer six mois de prison à domicile. Comme les deux parties appuient maintenant la proposition, il s’agit d’une « suggestion commune ».

« Ce que vous suggérez m’apparaît comme étant au plus bas niveau des fourchettes applicables pour quelqu’un qui a commis un crime extrêmement sérieux […]. Dans le contexte présent, où la haine est omniprésente à travers le monde, et se propage comme un virus. Et vous estimez, les deux avocats, qu’une peine de trois mois d’incarcération est suffisante pour réaliser les objectifs pénologiques ? », a lancé le juge Del Negro, qui s’est montré « hautement préoccupé » par cette sentence.

En vertu d’un récent arrêt de la Cour d’appel, le juge peut difficilement répudier une suggestion « commune » déposée après un procès. Or, ici, le juge Del Negro semblait envisager sérieusement la possibilité d’imposer une peine plus sévère. Il a ainsi officiellement notifié les parties de sa « désapprobation ».

Convictions

Le juge a fait valoir que le rapport présentenciel de Gabriel Sohier-Chaput était « extrêmement négatif ». « Il a tenté de justifier ses actes. Il adhère toujours aux idées qu’il avait en 2017 », a dénoncé le magistrat.

En effet, le rapport conclut que Gabriel Sohier-Chaput n’a pas été « ébranlé [dans] ses convictions ». Il continue de prétendre que ses écrits étaient humoristiques – sa défense au procès.

« [Sohier-Chaput] réitère avoir tenu des propos exagérément offensants pour désensibiliser une partie de la population avec pour finalité d’apaiser le climat social, et rendre le discours ambiant moins polarisé, explication qui nous paraît peu crédible », écrit l’auteur du rapport.

De plus, le délinquant « banalise sa conduite », ce qui est « inquiétant », puisque Gabriel Sohier-Chaput énonce la « jouissance » que lui a apportée l’écriture « des choses qu’on ne peut pas dire, à cause de l’Histoire ».

Devant la cour, Gabriel Sohier-Chaput s’est décrit comme une « personne changée ». « Je suis quelqu’un de différent maintenant », a-t-il assuré. Il a dit regretter d’avoir provoqué de la « tristesse et des émotions négatives » chez certaines personnes. « Ce n’était pas mon intention », a-t-il assuré. Des excuses « opportunistes », selon le juge.

« J’étais très politisé à l’époque. Ces temps-ci, je me concentre sur ma carrière et ma vie. Je ne suis plus impliqué dans quoi que ce soit. Ce n’est plus quelque chose qui m’intéresse », a assuré Gabriel Sohier-Chaput.

« Les mots comptent »

Le penseur néonazi était une figure de proue du mouvement d’extrême droite américain dans les années 2010. Dans son texte criminel, il écrivait que 2017 serait « l’année de l’action ». Il prônait le « nazisme, partout, [non-stop nazism] jusqu’à ce que nos rues soient inondées par les larmes de nos ennemis ».

« Le message véhiculé est la promotion du nazisme et de son idéologie, soit la persécution et l’extermination des Juifs. Il incite le lecteur à considérer les Juifs comme étant leurs ennemis et, en conséquence, de ne pas aimer et à vouloir les détester », avait conclu le juge au procès. L’accusé a porté le jugement en appel.

Une représentante de la communauté juive a témoigné mercredi au sujet des conséquences très graves de tels écrits pour les Juifs. « Les mots comptent. La haine propagée par des écrits mène à de la violence dans le monde réel », a affirmé Eta Yudin, vice-présidente au Centre consultatif des relations juives et israéliennes.

Le juge rendra son jugement en septembre prochain.

L’histoire jusqu’ici

23 janvier 2017

Gabriel Sohier-Chaput publie un article sur le site néonazi Daily Stormer dans lequel il incite à la haine contre les Juifs.

Août 2017

Gabriel Sohier-Chaput participe au célèbre rassemblement de l’extrême droite à Charlottesville aux États-Unis.

24 novembre 2020

Gabriel Sohier-Chaput comparaît au palais de justice de Montréal. Il était visé depuis deux ans par un mandat d’arrêt pour une accusation criminelle.

23 janvier 2023

Il est reconnu coupable d’avoir fomenté volontairement la haine contre les Juifs.