Un jeune schizophrène qui a tué deux innocents et a bien failli en tuer trois autres dans une terrifiante virée meurtrière en 2016 a échoué à se faire retirer son statut « à haut risque ». Malgré des soins psychiatriques, Frédérick Gingras entend des voix au quotidien et demeure dangereux.

« Sa grande dépendance aux drogues combinée à sa maladie mentale le rend imprévisible et par conséquent très dangereux », retient la juge de la Cour supérieure France Charbonneau, dans une décision rendue à la fin de mai, au palais de justice de Montréal.

Frédérick Gingras a été condamné en avril 2019 à 19 ans de pénitencier pour les homicides involontaires de James Jardin et de Chantal Cyr ainsi que pour une tentative de meurtre. Il avait du même coup été déclaré non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux pour deux autres tentatives de meurtre.

C’est dans ce cadre qu’il avait été déclaré « accusé à haut risque », un statut rarement accordé qui permet de restreindre considérablement les sorties d’un délinquant à l’extérieur de l’hôpital. Depuis, Frédérick Gingras est incarcéré à l’Institut Philippe-Pinel, d’où il ne sort jamais.

Mais en novembre 2022, la Commission d’examen des troubles mentaux (Tribunal administratif du Québec) a recommandé qu’on retire à Frédérick Gingras son statut d’accusé à haut risque, puisque son médecin traitant jugeait que sa dangerosité avait « diminué ».

En vertu de la loi, il revenait à la Cour supérieure de trancher la question.

Les crimes commis par Gingras en 2016 sont d’une « extrême violence », rappelle la juge Charbonneau dans sa décision de 39 pages. À l’époque, le jeune homme était plongé dans une grave psychose toxique, exacerbée par sa consommation de cocaïne, de cannabis et d’alcool.

Le récit d’un soir tragique

Ce soir tragique du 4 décembre 2016, Frédérick Gingras tue son ami James Jardin de deux coups d’arme à feu de calibre 12 dans son appartement de l’est de Montréal. Il se tourne ensuite vers Samuel Labine et appuie sur la détente à deux reprises. Par miracle, l’arme à feu n’est plus armée et Labine réussit à prendre la fuite.

La folie meurtrière de Frédérick Gingras ne fait que commencer.

Armé de son arme à feu et d’une ceinture de munitions, il se rend vers une station-service et tue Chantal Cyr, une mère qui attendait que sa fille termine son quart de travail.

Gingras vole le véhicule de sa victime, mais en perd la maîtrise un peu plus loin.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

La station-service de Pointe-aux-Trembles où Frédérick Gingras a tué Chantal Cyr, le 4 décembre 2016.

En quête d’un nouveau véhicule, il tire en direction d’une femme aperçue à l’intérieur de sa maison. Cette femme se précipite au sous-sol pour réveiller ses deux filles, alors que Gingras la suit et tire dans la porte menant aux chambres. La femme réussit à prendre la fuite pendant que Gingras marche à l’étage. Une expérience terrifiante.

Gingras recharge son arme et sonne à la porte d’un voisin. Celui-ci n’a pas encore ouvert la porte que Gingras tire un coup et fait éclater la serrure, atteignant l’homme à un pied. Il tire un autre coup, mais la victime réussit in extremis à faire dévier le tir en tassant le bout du canon. Il est quand même blessé gravement.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

La cavale meurtrière de Frédérick Gingras s’est terminée au Quartier DIX30, à Brossard.

Au volant du VUS de sa récente victime, Gingras conduit à vive allure. Sa cavale prend fin dans le secteur du Quartier DIX30, à Brossard, lorsqu’un pneu éclaté lui fait perdre la maîtrise du véhicule.

Un comportement intimidant et menaçant

« Les attaques à la fois contre des amis et contre des inconnus démontrent l’imprévisibilité de l’accusé et sa dangerosité sous l’emprise d’hallucinations auditives à la suite de la prise de stupéfiants et de la maladie mentale », résume la juge Charbonneau.

Malgré la prise de médicaments et le cadre strict de l’Institut de psychiatrie légale Philippe-Pinel, Frédérick Gingras continue de se montrer intimidant et menaçant, comme en mimant d’utiliser un fusil ou en faisant semblant de poignarder d’autres patients. Il a même réussi à se procurer de la drogue.

Encore plus inquiétant : Frédérick Gingras entend des voix « plusieurs fois par jour » et se montre réticent à révéler « les messages » de ces voix.

« Je suis capable de faire la différence entre le bien du mal de mes voix », a-t-il confié à la Commission.

« La stabilité de l’état mental de Frédérick Gingras demeure préoccupante, notamment lorsqu’il “mentionne avoir d’autres symptômes, mais qu’il préfère éviter de nous les divulguer pour le moment » », soutient la juge.

Selon le Tribunal, la persistante de ces hallucinations auditives démontre que Frédérick Gingras « présente toujours une probabilité marquée qu’il use de violence de façon qu’il puisse mettre en danger la vie ou la sécurité d’une autre personne », le critère pour justifier le maintien de son statut à haut risque.

Si Gingras a progressé dans les dernières années, c’est grâce au cadre très strict de sa détention à l’Institut, rappelle la juge. Ainsi, le sortir de ce cadre « sécuritaire » mènerait à un « risque accru » de violence. De plus, son médecin dit ignorer si les médicaments l’empêcheraient de refaire une psychose en cas de prise de stupéfiants. Des propos « inquiétants », selon la juge.

MJasmine Guillaume a représenté le ministère public, alors que MKaven Morasse défendait l’accusé.