S’armer pour se protéger. Un prétexte maintes fois évoqué dans le contexte de la prolifération des armes à feu. Un jeune criminel raconte dans ses mots pourquoi, tout jeune, il a choisi de s’armer : « pour faire peur ». Et son histoire est loin du stéréotype du jeune à l’enfance difficile, lit-on dans les documents judiciaires consultés par La Presse.

Xavier Bitondo Nanga n’a manqué de rien. Enfant unique, jeune athlète prometteur, scolarité dans des écoles privées, parents diplômés universitaires dotés de bons emplois. Difficile de croire qu’il se promenait avec une arme à feu chargée à cause d’une rivalité entre deux équipes de soccer lavalloises.

Bitondo Nanga avait plaidé coupable, l’été dernier, à des accusations en lien avec la possession d’arme à feu. Alors âgé de 20 ans, il avait écopé de trois ans et demi de pénitencier.

La Cour d’appel vient toutefois d’alléger sa peine. Le jeune homme, considéré par la police comme une liaison du gang de rue Flamehead Boys (FHB), s’en tire avec une peine de deux ans moins un jour pour s’être baladé avec une arme à feu.

DOCUMENT DÉPOSÉ EN COUR

Xavier Bitondo Nanga

Le parcours du jeune homme est à mille lieues des clichés associés au monde des gangs : pas d’enfance dans un HLM miteux, ni de père absent, ni de difficultés financières le poussant à faire de l’argent illicite pour survivre dans la jungle de béton qu’on appelle « la rue ». Juste une vie paisible, malgré quelques difficultés scolaires, constate-t-on à la lumière du rapport présentenciel déposé en cour. Il n’a aucune obligation financière : ses parents payent son forfait de téléphone cellulaire pour lui permettre de se consacrer à ses études à temps plein, apprend-on.

Le jeune Bitondo Nanga fréquente le Collège de Montréal et le Collège Laval, deux écoles secondaires privées. Ses parents occupent de bons emplois : l’un est comptable et l’autre travaille dans les finances.

Aucun vécu d’abus au sein de sa famille ni forme de violence n’est présent, rapporte l’agente de probation dans le rapport présentenciel. On parle au contraire de parents aimants et impliqués. « Selon la mère, le père n’aurait manqué aucun match de soccer de son fils depuis ses 6 ans, étant même parfois son entraîneur. »

S’armer pour se défendre

Il trempe dans la criminalité malgré ce contexte favorable. Ses fréquentations et les conflits qui en découlent l’amènent à se procurer une arme à feu pour se défendre, évoque-t-il dans le rapport présentenciel. Ses inquiétudes s’avèrent fondées : en mai 2020, sa résidence familiale de Laval-des-Rapides est ciblée par des coups de feu. L’un des projectiles entre par une fenêtre et atteint le plafond d’une chambre à coucher. « Le tout ravive, voire confirme les craintes du sujet et l’amène à se procurer à nouveau, via une connaissance, une arme à des fins de protection. »

Xavier Bitondo Nanga affirme ne pas avoir eu l’intention d’utiliser l’arme réellement, mais de seulement pouvoir en faire usage « pour faire peur et, au pire, tirer au sol ».

« Ce n’est pas le premier cas où nous avons cette défense, c’est-à-dire que “Je m’achète une arme à feu pour me défendre”. Il va falloir qu’on comprenne qu’avec la prolifération des armes à feu et des coups de feu, autant à Montréal, à Longueuil, Laval, qu’il n’y a pas une journée où il n’y en a pas », avait dit le juge Gilles Garneau dans sa décision de première instance.

Provocations sur le terrain de soccer

Xavier Bitondo Nanga évolue dans le soccer de haut niveau (AAA) et participe à d’importantes compétitions au cours de son adolescence.

Plusieurs de ses amis sont des coéquipiers.

« Du nombre, certains pouvaient adopter une conduite délinquante. Plutôt vague sur le sujet, il ne croit pas que ceux-ci étaient impliqués dans un gang de rue. S’ils l’étaient, il l’ignorait, dit-il. Monsieur assure toutefois n’avoir jamais lui-même fait partie d’un quelconque groupe criminalisé », lit-on dans le rapport présentenciel.

Selon ce même rapport, Bitondo Nanga se serait senti dans l’obligation dans le passé de se protéger d’un groupe de jeunes à la suite d’une partie de soccer où il y a eu un conflit entre un joueur d’une équipe adverse et lui. Une bagarre avait éclaté. La dispute s’est transformée au fil du temps en une coriace rivalité entre son cercle d’amis de Laval-des-Rapides et celui d’un autre joueur de soccer de Chomedey.

Xavier [Bitondo Nanga] explique que le conflit a pris une ampleur. On l’a informé qu’un des jeunes du groupe adverse était muni d’un couteau pour s’en prendre à lui.

Extrait du rapport présentenciel

La bisbille entre Laval-des-Rapides et Chomedey est bien connue des jeunes Lavallois. Les rivalités et sanglantes provocations entre les gangs de rue de ces deux quartiers ont fait les manchettes lors de la flambée de violence armée survenue entre 2020 et 2022. « Un élément qui nous interpelle est la présence de banalisation dans le discours du sujet concernant le port d’une arme. Il ne semble pas avoir pensé aux conséquences dramatiques qui auraient certainement pu en découler », estime l’agente de probation Véronique Marcoux dans son rapport.

De sportif talentueux à acolyte des gangs

Bitondo Nanga apparaît dans le vidéoclip Mode Démon de Marlon Étienne Lafontant, alias Rach, considéré comme l’une des têtes d’affiche des FHB. Le jeune homme est également présent dans un autre vidéoclip du même rappeur, Sans qu’on me voit.

  • De gauche à droite, Kylel Devon Vilmond en arrière-plan (allégeance FHB), ensuite Xavier Bitondo Nanga en t-shirt noir, Marlon Étienne Lafontant, alias Rach, tête d’affiche des FHB, Pierre-André Baptiste, alias Bouldat (proxénète notoire, tête d’affiche des 24), Algo Bryan Fotso Youmby, alias Shadow. Tous ont des antécédents en matière d’armes à feu ou de crimes violents.

    CAPTURE D’ÉCRAN TIRÉE DE YOUTUBE

    De gauche à droite, Kylel Devon Vilmond en arrière-plan (allégeance FHB), ensuite Xavier Bitondo Nanga en t-shirt noir, Marlon Étienne Lafontant, alias Rach, tête d’affiche des FHB, Pierre-André Baptiste, alias Bouldat (proxénète notoire, tête d’affiche des 24), Algo Bryan Fotso Youmby, alias Shadow. Tous ont des antécédents en matière d’armes à feu ou de crimes violents.

  • À gauche, Xavier Bitondo Nanga, vêtu d’un chandail Dirty L’s, chaîne LDR (Laval-des-Rapides) à son cou, dans le clip de Sans qu’on me voit

    CAPTURE D’ÉCRAN TIRÉE DE YOUTUBE

    À gauche, Xavier Bitondo Nanga, vêtu d’un chandail Dirty L’s, chaîne LDR (Laval-des-Rapides) à son cou, dans le clip de Sans qu’on me voit

  • Dans le clip Laval, par les rappeurs et criminels JUICEMANSF (Josué Frenel Bois) X BOULDAT X RACH X JPS (Jemsley Printemps Sanon), Xavier Bitando Nanga est vêtu d’un chandail rouge et d’une chaîne l’identifiant au gang.

    CAPTURE D’ÉCRAN TIRÉE DE YOUTUBE

    Dans le clip Laval, par les rappeurs et criminels JUICEMANSF (Josué Frenel Bois) X BOULDAT X RACH X JPS (Jemsley Printemps Sanon), Xavier Bitando Nanga est vêtu d’un chandail rouge et d’une chaîne l’identifiant au gang.

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La police le considère donc comme associé à ce gang de rue violent.

Il fait par ailleurs l’objet d’inscriptions dans des rapports policiers en présence d’individus reliés aux FHB à six reprises sur le territoire de Laval depuis le mois de mars 2022, selon le rapport faisant état du profil du jeune homme.

Notons que ce document d’analyse produit par le Service de police de Laval (SPL) a été déposé au dossier, mais l’appartenance du sujet au gang de rue FHB n’a pas été débattue dans les procédures judiciaires.

Pas de soupçons des parents

Le témoignage du père du jeune homme révèle que les parents n’avaient aucun soupçon sur la vie criminelle de leur fils unique. Questionné en contre-interrogatoire sur les affiliations de son fils à des gangs de rue, le père de Xavier Bitondo Nanga s’est dit « surpris ».

C’est d’ailleurs dans les documents de cour qu’il a appris que son fils côtoyait des membres de gangs. « On essaie d’éduquer et on éduque notre enfant pour qu’il soit une bonne personne. Mon père était magistrat, mon beau-père était médecin. Nous ne sommes pas des mauvaises personnes. On essaie, comme nous on a été élevés dans la loi, dans la justice et dans la foi chrétienne », avait-il dit devant le juge Gilles Garneau lors de la détermination de la peine de son fils en septembre 2022.

Quant aux nombreuses apparitions dans des vidéoclips mettant en scène des membres de gangs, le papa estime que son fils aurait pu ne pas être au courant du mode de vie criminel de ces rappeurs. « Il pourrait être dans une vidéo avec Céline Dion, sans savoir vraiment qu’est-ce qui se passe par rapport à Céline Dion », avait-il indiqué à titre d’exemple.

Qui sont les FHB ?

Les Flamehead Boys, désignés par les initiales FHB ou les chiffres 682, sont un gang de rue de Laval associé aux secteurs de Laval-des-Rapides et Pont-Viau. Ces secteurs sont surnommés « Zone 2 » ou « Dirty L’s ». Ce groupe criminel d’allégeance rouge est composé d’adolescents et de jeunes adultes ayant fréquenté pour la plupart l’établissement scolaire Mont-de-La Salle. Depuis la dernière année, des jeunes du secteur qui s’identifient à ces territoires se sont greffés à ce gang, selon des informations du Service de police de Laval (SPL). Les FHB sont connus des autorités depuis 2016 pour leur implication dans de multiples évènements de violence avec des armes à feu. Depuis 2020, ils ont été la cible de neuf drive-by shooting dans des lieux publics de Laval et de Montréal. Les sujets reliés à ce gang fréquentent des sujets reliés au 24 GANG du secteur Saint-François, à Laval, surnommé Zone 1, et s’affichent avec eux.