La condamnation du conjoint d’une prostituée qui la transportait à ses rendez-vous suscite l’inquiétude dans le milieu, qui dénonce la criminalisation des relations interpersonnelles des travailleuses du sexe.

Amine Jihade Elrhanjaoui, un Montréalais de 33 ans, n’aurait exercé ni violence ni « aucune incitation ou pression indue » sur sa conjointe, qui se prostituait déjà avant le début de leur relation amoureuse. Il se contentait de la transporter en échange d’argent.

Mais sauf exception, profiter financièrement de services sexuels tarifés est un crime au Canada, hormis pour la travailleuse du sexe elle-même.

« Les actes de l’accusé combinés à une relation amoureuse ne l’ont pas aidée à sortir de ce milieu et l’ont maintenue dans cet état de vulnérabilité », a écrit le juge Érick Vanchestein, de la Cour du Québec, dans une décision rendue plus tôt en août. Celui-ci devait imposer une peine à l’accusé après qu’il eut plaidé coupable.

Le juge Vanchestein a cité un rapport préparé par un agent de probation concernant M. Elrhanjaoui qui souligne qu’il s’est « servi de la vulnérabilité de la victime ».

Il a admis que les sommes qu’il touchait pour le transport pouvaient atteindre 50 % de la rémunération de sa conjointe.

Il a été condamné à 12 mois de détention à purger dans la collectivité.

Contre la criminalisation des relations

Stella est une association de défense des droits des travailleuses du sexe. Sa porte-parole Jenn Clamen s’est gardée de commenter ce cas particulier, mais elle affirme tout de même qu’il s’agit d’une illustration des difficultés qu’ont les travailleuses du sexe à s’entourer d’un cercle de soutien sans que celui-ci soit accusé au criminel.

« Quand des gens qui exercent d’autres professions se supportent entre conjoints, en général, on ne criminalise pas ces relations », a-t-elle dit en entrevue téléphonique.

Dans le travail du sexe, cette personne est criminalisée. Et ça fait en sorte que c’est très difficile pour une travailleuse du sexe de pratiquer dans des conditions sécuritaires.

Jenn Clamen, porte-parole de Stella

Avec d’autres associations, Stella tente de faire annuler l’article du Code criminel qui a motivé l’accusation de M. Elrhanjaoui. La cause est actuellement devant les tribunaux ontariens, mais devrait faire son chemin jusqu’à la Cour suprême. Elle s’est d’ailleurs dite surprise que M. Elrhanjaoui ait plaidé coupable plutôt que de contester la constitutionnalité de cette accusation.

« Quand il y a de la violence dans une relation personnelle, il y a tout un tas d’articles du Code criminel qui peuvent déjà être utilisés », a-t-elle dit.

« Monsieur n’avait pas les moyens » de contester

Amine Jihade Elrhanjaoui était représenté par MAntonio Cabral.

« Le Code criminel, la façon dont c’est rédigé, ça ne laisse pas de place à l’interprétation », a-t-il expliqué en entrevue téléphonique. Contester la constitutionnalité de l’article de loi, « c’était mon intention, mais Monsieur n’avait pas les moyens ».

Devant le juge Vanchestein, MCabral a bien souligné que son client, « ce n’est pas quelqu’un qui s’est dit : je vais avoir un potentiel de revenus supplémentaires » lorsqu’il s’est mis en couple avec sa conjointe. Il a d’ailleurs appris seulement trois mois après le début de la relation que celle-ci n’était pas seulement infirmière auxiliaire.

Dans le spectre des personnes qui sont accusées, il y en a qui sont moins coupables que d’autres…

MAntonio Cabral

La Couronne demandait une peine d’emprisonnement ferme de 20 à 22 mois contre M. Elrhanjaoui.

« Manifestement, le procureur ayant analysé la preuve soumise dans le dossier visant monsieur Elrhanjaoui a conclu qu’il existait une perspective raisonnable de condamnation et qu’il était opportun d’intenter une poursuite, conformément à cette directive », a indiqué la porte-parole du Directeur des poursuites criminelles et pénales, MAudrey Roy-Cloutier.

« Dans cette cause », a continué la porte-parole, « la preuve présentée devant le tribunal démontre que l’accusé a exploité la vulnérabilité de la personne victime et ses sentiments amoureux à son égard afin de profiter de la situation et obtenir un avantage pécuniaire, commettant ainsi l’infraction prévue au Code criminel ».