Des membres des Hells Angels et leurs présumés complices, auxquels la police a saisi une multitude de biens au printemps durant des vagues de perquisitions, s’opposent à ce que ces objets soient retenus durant encore dix mois, le temps que la police poursuive son enquête.

Ce qu’il faut savoir

  • Depuis le prononcé par la Cour suprême (2016) de l’arrêt Jordan, qui limite les délais judiciaires, les corps de police se sont adaptés et effectuent davantage de perquisitions en cours d’enquête avant de procéder aux arrestations.
  • Durant ces perquisitions, les policiers saisissent des éléments de preuve qu’ils retiennent le temps de leur enquête. La poursuite doit s’adresser à la cour si elle veut obtenir des délais de rétention supplémentaires.
  • Dans une importante enquête sur le crime organisé en cours, la poursuite demande de conserver des biens saisis un an de plus, ce que contestent les avocats des suspects, dont d’influents Hells Angels.

Une démarche entreprise devant le tribunal par les avocats des suspects pourrait avoir un impact pour la police, la poursuite, et même la lutte contre le crime organisé en général, alors que depuis que la Cour suprême a limité la durée des procédures judiciaires (arrêt Jordan).

Depuis cet arrêt, en effet, les enquêteurs multiplient les perquisitions en cours d’enquête, pour que la poursuite soit prête à divulguer l’essentiel de la preuve dès la comparution des individus, de façon à ne pas perdre de temps de cour.

Parmi ces individus qui contestent une longue rétention de leurs biens, on retrouve les Hells Angels Martin Robert, Stéphane Plouffe, Rob Barletta, Michel Lamontagne et Gilles Lambert.

Plus de 60 perquisitions

Dans le cadre d’une enquête baptisée Ravager, les enquêteurs de l’Escouade nationale de lutte au crime organisé (ENRCO) ont effectué plus de 60 perquisitions et notamment saisi chez ces individus et leurs présumés complices des dizaines de téléphones cellulaires, cartes SIM, ordinateurs, tablettes électroniques, clés USB, documents bancaires, de compagnies ou de transactions, DVD, bijoux et vêtements à l’effigie des Hells Angels, montres Rolex, Cartier et autres objets de valeur.

« Des centaines de documents ont été saisis et environ 165 éléments informatiques, dont certains ne seront accessibles que dans quelques mois. Au terme des perquisitions, d’autres autorisations judiciaires sont à venir et plusieurs items informatiques saisis nécessitent des autorisations supplémentaires », a écrit un enquêteur le 3 juillet dernier dans une déclaration sous serment jointe à une requête de la poursuite qui demande à ce que les articles saisis soient encore retenus jusqu’au 19 juin 2024.

Une atteinte à leurs droits

Les avocats qui représentent les suspects soutiennent que la poursuite aurait dû demander une prolongation de rétention des objets saisis d’une durée de trois mois, et non une année d’un seul coup, « une atteinte et un empiètement supplémentaire sur les droits de [leurs] clients », clament-ils.

Ils pestent contre le fait que la requête et la déclaration sous serment de l’enquêteur soient « caviardées à 90 % », disent-ils, ce qui les empêche de défendre adéquatement les droits de leurs clients et va à l’encontre de l’équité procédurale.

« Il y a une évolution dans leurs pratiques [les policiers] au niveau des articles de la loi sur la rétention des biens saisis et c’est à cause de Jordan. On nous présente des requêtes qui sont de plus en plus longues et de plus en plus caviardées. J’estime que M. Plouffe et toutes les personnes à qui on dit que leurs biens seront saisis durant un an ont le droit de savoir pourquoi », a notamment déclaré MChristian Gauthier, avocat du Hells Angel Stéphane Plouffe, durant une audience lundi matin au palais de justice de Montréal.

« Comment je fais pour contre-interroger l’affiant [enquêteur qui a rédigé la déclaration au soutien des mandats] si je ne sais rien ? Il y a un vide », a ajouté le criminaliste.

MPhilippe Knerr, qui représente un autre individu, Rhéal Dallaire, a par exemple soulevé le fait que les policiers ont saisi chez son client plusieurs bijoux, que ceux-ci ont peut-être été acquis en dehors de la période des infractions présumées, mais qu’il ne peut le savoir en raison du caviardage.

L’enquête doit être protégée

De son côté, la poursuite n’a pas l’intention de reculer.

Elle plaide le privilège et la protection de l’enquête en cours pour justifier le fait que plusieurs passages de sa requête et de la déclaration de l’enquêteur affiant soient caviardés.

« Considérant la nature de plusieurs des biens saisis, la nature complexe de l’enquête, la raisonnabilité de la période demandée, considérant les tâches à exécuter, et les bénéfices de l’octroi de cette période pour la suite du dossier, le requérant [poursuite] soumet que le délai d’un an demandé par celui-ci et la saisissante, soit jusqu’au 19 juin 2024, devrait être accordé », écrivent également les procureurs du Bureau de la grande criminalité et des affaires spéciales dans leur requête.

Le débat, qui doit s’échelonner sur trois jours, se déroule devant le juge Antoine Piché, de la Cour du Québec.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.