(Laval) Bruno Turcotte a tué sa femme quasi paralysée en cessant d’en prendre soin et de la nourrir au début de la pandémie. L’homme de 61 ans a été reconnu coupable de l’homicide involontaire de Johane Bilodeau vendredi après-midi au terme de neuf jours de délibérations.

Avec un si long délibéré, l’enjeu a visiblement déchiré le jury. Mais le procès de Bruno Turcotte, qui s’est déroulé au palais de justice de Laval, n’était pas un dossier comme les autres.

C’était l’histoire d’un proche aidant qui s’occupait depuis 2010, dans leur appartement de Terrebonne, de sa femme laissée lourdement handicapée par un AVC. D’un homme abandonné par le système pendant la première vague de COVID-19, alors que le couple a cessé de recevoir de l’aide à domicile.

Ce contexte pandémique très particulier n’a toutefois pas permis à Bruno Turcotte d’être acquitté. Est-ce que Johane Bilodeau aurait été sauvée si une infirmière était venue la visiter avant sa mort ? Cette question, bien théorique, ne change rien au résultat : Bruno Turcotte est responsable de la mort de sa femme, a tranché le jury.

État déplorable

Johane Bilodeau était dans un état absolument déplorable à sa mort, le 24 septembre 2020. À son arrivée à l’hôpital, elle était dénutrie et déshydratée. Des plaies de lit laissaient voir ses os. Son corps était recouvert de grosses croûtes brunes. Quelques heures plus tard, elle est morte d’un choc septique en raison d’une infection sévère.

« Est-ce que cette dame nécessitait d’avoir des soins médicaux bien avant son transport à l’hôpital ? Je suggère que oui », avait plaidé la procureure de la Couronne MKarine Dalphond à la fin du procès.

Une personne « raisonnable » aurait contacté un médecin bien avant en constatant l’état de la victime, selon la procureure.

Aux yeux de la poursuite, Johane Bilodeau n’était pas nourrie « adéquatement » par l’accusé depuis un bon moment. Elle était en effet « obèse » trois ans plus tôt, la dernière fois qu’elle avait vu son médecin. La femme de 58 ans était dans un « état de dépendance pratiquement totale », avait rappelé MDalphond.

« L’état de Mme Bilodeau s’est progressivement détérioré. Ses plaies étaient présentes depuis plusieurs mois. Se nourrir, s’hydrater, se laver, soigner nos plaies et infections, [ce sont toutes] des choses nécessaires à l’existence qui n’ont pas été données à Mme Bilodeau alors que c’était le devoir de M. Turcotte de le faire », avait plaidé MDalphond, qui faisait équipe avec MGeneviève Aumond.

Le jury a donc été convaincu hors de tout doute raisonnable par la version de la Couronne. Les arguments de la défense, quant à eux, n’ont visiblement pas été suffisants pour ébranler la conviction des jurés.

Contexte difficile

La défense faisait valoir que Bruno Turcotte avait soigné sa femme « du mieux » qu’il pouvait dans un contexte pandémique difficile. Il avait d’ailleurs commandé une nouvelle crème pour elle et avait reçu de nouvelles ordonnances dans les jours précédant la mort. Il avait aussi appelé sa fille au sujet d’une plaie.

« Est-ce que c’est le comportement de quelqu’un qui est insouciant, qui est téméraire ? », avait plaidé MMarc Labelle.

L’avocat de la défense avait notamment répété que la preuve ne permettait pas d’expliquer l’état de la victime avant la veille de sa mort. La preuve était en effet muette à ce sujet.

Autre argument de la défense : les témoins de la poursuite ont « exagéré » l’état de Johane Bilodeau, qui n’était d’ailleurs pas « maigre » selon le pathologiste. Il était loin d’être clair que son état était si grave, avait insisté MLabelle. La preuve : le cas n’était pas une urgence pour les ambulanciers et le personnel hospitalier a mis des heures avant de prescrire des tests.

MLabelle avait conclu sa plaidoirie en brossant ce portrait de l’accusé.

Cette histoire-là, ça finit avec Bruno Turcotte qui est en larmes sur le trottoir devant l’hôpital Le Gardeur parce que sa femme est décédée.

MMarc Labelle, avocat de la défense

Bruno Turcotte n’a pas témoigné pour sa défense.

Les observations sur la peine sont prévues dans les prochains jours devant le juge Daniel W. Payette. Bruno Turcotte demeure libre d’ici là.

« Nous sommes satisfaites du verdict rendu. On espère que cela va apporter du réconfort aux membres de la famille de la victime », a commenté MDalphond à La Presse.

MLabelle n’a pas souhaité commenter avant les audiences sur la détermination de la peine.

L’histoire jusqu’ici

  • 24 septembre 2020 : Johane Bilodeau meurt à l’hôpital Le Gardeur des suites d’une infection.
  • 7 avril 2021 : Son mari, Bruno Turcotte, est accusé de l’homicide involontaire de sa femme.
  • 13 septembre 2023 : Le procès devant jury de Bruno Turcotte s’ouvre au palais de justice de Laval.
  • 6 octobre 2023 : Le jury déclare Bruno Turcotte coupable d’homicide involontaire.