Le mince espoir d’obtenir rapidement une compensation financière auquel s’accrochent des centaines d’inventeurs floués par le fraudeur Christian Varin vient de s’envoler en fumée. Un incendie suspect a endommagé mardi un luxueux bâtiment de Shefford que la justice avait confisqué au charlatan, et dont la vente imminente devait indemniser partiellement ses victimes, a appris La Presse.

L’histoire jusqu’ici

  • Christian Varin et son organisme bidon, la Fédération des inventeurs du Québec, ont arnaqué depuis 2014 près de 500 inventeurs en leur faisant croire qu’il leur obtiendrait un brevet pour leur invention.
  • L’imposteur, qui n’avait « ni les compétences ni la capacité » de le faire, a été déclaré coupable de fraude en janvier 2022. Il purge une peine d’incarcération de cinq ans.
  • L’argent volé a servi à construire le « Pavillon des inventeurs », un immeuble de luxe de Shefford, qui a été saisi pour indemniser les victimes dans le cadre d’une action collective.
  • L’immeuble a été la cible d’un incendie suspect cette semaine, alors qu’une promesse d’achat était conclue.

La Sûreté du Québec (SQ) confirme que des techniciens en scènes d’incendie ont été dépêchés mercredi pour un incendie « suspect » ayant endommagé ce bâtiment confisqué depuis janvier 2022 par le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP). Des chiens pisteurs étaient présents sur place jeudi. Des dommages importants ont été constatés au toit et à la façade arrière de l’immeuble, dont les fenêtres étaient placardées d’affiches indiquant qu’il était saisi. « Des éléments trouvés sur place permettent de croire que l’incendie a été provoqué par une main criminelle », confirme l’agent Louis-Philippe Couture, porte-parole de la SQ.

« Nos enquêteurs vont se pencher sur l’ensemble des circonstances qui auraient pu pousser une personne à mettre le feu », ajoute-t-il.

« Le feu s’est propagé de l’extérieur vers l’intérieur », précise pour sa part le directeur du Service de sécurité incendie de Shefford, Luc Couture.

Depuis 2014, Christian Varin et son organisme bidon, la Fédération des inventeurs du Québec, ont dérobé près de 3 millions de dollars à des inventeurs québécois, à qui l’homme faisait croire qu’il leur obtiendrait un brevet pour commercialiser leurs créations. L’homme de 66 ans, décrit comme un menteur compulsif par le juge Alexandre Dalmau, n’a jamais mené une seule démarche à terme. Il a été condamné à cinq ans de prison en septembre 2022, et purge depuis une peine dans un établissement de Laval.

Entre 1,3 et 1,4 million de dollars des sommes qu’il a fraudées à ses victimes ont été détournés pour la construction du « Pavillon des inventeurs », un luxueux immeuble de 19 pièces, avec piscine intérieure et salle de conférence, que Varin a fait construire à Shefford, sur un terrain appartenant à son conjoint.

Considérant qu’il était un fruit de la criminalité, le DPCP a saisi le bâtiment en janvier dernier et conclu une entente avec un groupe d’avocats représentant plusieurs victimes dans le cadre d’une action collective, ainsi qu’avec l’avocat de Varin, pour que le fruit de la vente leur soit restitué.

Mis en vente au prix de 1,9 million, le bâtiment avait récemment été acquis par un acheteur de la région de Sherbrooke, pour une somme non spécifiée. Selon nos informations, la vente devait être officialisée devant le notaire dans les prochains jours. Le protocole d’indemnisation des victimes – qui prévoyait la remise d’environ 900 000 $ aux inventeurs arnaqués et le paiement de 100 000 $ d’honoraires à l’avocat de Christian Varin, MNormand Haché – devait être présenté cette semaine devant le tribunal.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Christian Varin, en 2020

Mais en raison de l’incendie de nature suspecte, la vente a été subitement annulée, a appris La Presse. Le DPCP a refusé de commenter nos informations, puisque l’affaire fait l’objet d’une enquête policière.

Questions autour des assurances

L’ordonnance de blocage prononcée par le tribunal à la demande du DPCP, en janvier dernier, forçait Varin et son conjoint, Sylvain Riendeau, à « maintenir l’immeuble assuré adéquatement » en attendant la vente. Mais selon une personne proche du dossier, cette clause n’était pas prévue dans l’ordonnance de confiscation qui a succédé à l’ordonnance de blocage, et le DPCP n’aurait pas assuré l’immeuble. Le DPCP n’a pas répondu à nos questions spécifiques par rapport à cet enjeu.

Les dommages provoqués par les flammes pourraient représenter plusieurs dizaines de milliers de dollars, et compliquent sérieusement la remise en vente.

« J’ose espérer que le DPCP a assuré la bâtisse », dit l’avocat Vincent Langlois, qui représente une douzaine d’inventeurs floués.

Patrick Marcotte, inventeur d’un démarreur à distance intelligent qui compte parmi les nombreuses victimes de Varin, s’attendait à recevoir entre 10 000 $ et 12 000 $ en compensation lorsque la vente allait être conclue. « C’est dégueulasse ! Complètement décourageant. Depuis le nombre d’années que ça traîne, on commence vraiment à perdre espoir », lâche-t-il au bout du fil.

L’incendie a provoqué une onde de choc parmi les nombreux juristes impliqués dans cette saga judiciarisée depuis 2017. « Ça m’inquiète et c’est embêtant. Le client [Christian Varin] est toujours en prison », commente MNormand Haché, l’avocat de Varin, à qui le fraudeur devait 174 000 $ en honoraires pour les 38 causes lors desquelles il l’a représenté. En vertu d’une entente avec le DPCP, ses honoraires ont été réduits à 100 000 $. « Cet incendie n’apportera pas plus d’argent aux victimes. C’est un rebondissement malheureux. Je suis déçu », ajoute l’avocat.

« Il y a eu tellement de rebondissements dans cette histoire, on aurait espéré une fin plus sereine que celle-là, qui va inévitablement diminuer la valeur du seul actif saisissable pour [dédommager] les victimes », déplore pour sa part l’avocat Vincent Langlois.