(Laval) La scène est choquante. Une femme qui ignore être enceinte accouche d’un bébé prématuré, mais vivant. Son colocataire empoigne le nouveau-né, le met dans une boîte et le jette aux ordures. L’homme a-t-il commis un crime s’il croyait que l’enfant était mort ?

Un procès hors norme s’est déroulé cette semaine au palais de justice de Laval. Celui d’un homme de 47 ans qui a jeté à la poubelle le corps d’un bébé sans se poser de questions. Celui d’un homme qui n’est « pas vite, vite » et « pas le plus intelligent », selon son avocat. Celui d’un homme « fatigué » qui voulait seulement « nettoyer » la salle de bain pour retourner dormir.

Cet homme – qu’on ne peut identifier – n’est accusé ni de meurtre, ni de négligence criminelle, ni d’outrage à un cadavre. Mais de « suppression de part », un chef d’accusation quasiment jamais utilisé, qui signifie d’avoir « fait disparaître le cadavre d’un enfant dans l’intention de cacher le fait que sa mère lui a donné naissance ».

Bref, l’enjeu du procès n’est pas de déterminer si son geste a causé la mort du nouveau-né, le 10 août 2020, mais si son but était de cacher la naissance. La femme de 39 ans, elle, n’a pas encore eu son procès.

Le bébé était vivant au moment de l’accouchement, selon la pathologiste judiciaire Caroline Tanguay. Elle évalue son âge à environ 31 semaines, soit un grand prématuré. À cet âge, un bébé n’est pas capable de respirer par lui-même sans soins médicaux, selon elle. La pathologiste n’a pas été en mesure de déterminer la cause du décès.

« Elle pourrait résulter uniquement que ce bébé n’a pas eu de soins à la naissance », témoigne l’experte. Elle ne peut toutefois exclure une mort par noyade ou par suffocation.

« Toilette bouchée »

L’homme partage depuis des années un appartement avec son ex-conjointe. Ils sont restés colocataires pour élever leurs deux enfants. La femme consomme de l’alcool et de la drogue. À l’été 2020, il remarque que la femme a pris du poids. « Elle prenait beaucoup de biscuits », raconte-t-il. La femme nie toutefois être enceinte.

Une nuit, la femme le réveille en criant avoir mal au ventre. « Elle me dit : “La toilette est bouchée” », témoigne-t-il. L’homme prend une boîte de litière pour chat, utilisée comme poubelle, et entre dans la salle de bain. Selon son récit, il ignore alors qu’un nouveau-né se trouve dans la cuvette.

Mais prend-il une boîte pour ramasser quelque chose dans la toilette ? « Je suis concierge. J’ai déjà vu des cornichons dans une toilette », réplique-t-il en contre-interrogatoire, évoquant aussi des serviettes hygiéniques agglutinées.

Il prend un sac d’épicerie et l’enfile comme un gant et plonge le bras dans la cuvette. « J’ai pogné quelque chose de dur. […] Quand je l’ai levé, je suis resté frette pareil. J’ai mal réagi. Il ne bougeait pas, je l’ai mis dans la boîte. Je l’ai mis dans le sac, je l’ai fermé. J’ai enroulé le sac », raconte-t-il.

Réaliser qu’il s’agissait d’un bébé n’a toutefois pas semblé le perturber ou le surprendre.

Pour moi, c’était un enfant prématuré, une fausse couche.

L’accusé, un homme de 47 ans

Il ignore si les mains du bébé étaient « formées », puisqu’il n’avait pas ses lunettes.

Sur une caméra de surveillance, on peut le voir marcher avec la boîte en direction du conteneur extérieur de l’immeuble, où le corps de l’enfant sera retrouvé le jour même.

Dans son témoignage, l’homme le répète sans cesse : il n’a pas « réfléchi ». Il voulait seulement « nettoyer » la salle de bain et retourner dormir. « J’étais trop brûlé. Elle m’a réveillé en plein milieu d’un sommeil profond. Je sais que j’ai mal agi », témoigne-t-il.

Un « problème » à régler, dit la Couronne

En contre-interrogatoire, l’homme concède que, pour lui, « nettoyer » la toilette signifiait en fait de se « débarrasser » du corps du bébé.

Pourquoi était-il aussi pressé d’aller jeter la boîte ? lui a demandé le juge Serge Cimon.

« L’odeur. Il y avait une petite odeur », a répondu l’accusé.

Aux yeux de la procureure de la Couronne MClaudia Ossio, la preuve démontre que l’homme a intentionnellement voulu se débarrasser du corps du bébé naissant et que son but était de « cacher que madame venait d’accoucher ».

« Pour lui, l’accouchement était un problème. Et il voulait régler ce problème-là en se débarrassant du corps du bébé », a-t-elle plaidé.

Débarrassons-nous du corps le plus rapidement possible. On n’a appelé personne. On n’a avisé personne. Quand on n’avise personne d’un accouchement, on est en train de dissimuler l’accouchement de quelqu’un.

MClaudia Ossio, procureure de la Couronne

Oui, l’homme a été « insouciant » et « négligent ». Oui, il n’a pas été « vite, vite ». Oui, son intention était « stupide ». Mais en aucun cas, a martelé l’avocat de la défense, l’accusé a voulu cacher le fait que la mère venait de donner naissance – ce pour quoi il est accusé.

« Ce n’était pas ça, son intention. Son intention était de nettoyer la situation et de jeter l’enfant », a plaidé MMoulay-Badre Aber.

D’ailleurs, pourquoi l’accusé aurait-il voulu cacher l’accouchement de la mère ? s’est demandé le criminaliste. « Il n’est même pas le père. Il n’a rien à gagner », a-t-il souligné.

Le juge rendra sa décision en février prochain.