Il y a environ six fois plus de personnes déclarées non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux au Québec que dans les autres provinces canadiennes. Enjeu préoccupant : moins de la moitié avaient reçu un suivi psychiatrique dans l’année précédant le délit.

C’est la conclusion de la chercheuse Anne Crocker, directrice de la recherche et de l’enseignement universitaire à l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel. L’experte a témoigné dans l’enquête du coroner sur trois homicides en août 2022. Le tout vise à faire la lumière sur la mort d’André Lemieux, de Mohamed Belhaj et d’Alex Levis-Crevier. Le suspect, Abdulla Shaikh, a été abattu par les policiers peu après les meurtres.

Au Québec, entre 450 et 550 accusés sont chaque année déclarés non criminellement responsables, a expliqué la chercheuse à la coroner responsable du dossier, Me Géhane Kamel. « C’est significativement plus élevé que dans toutes les autres provinces canadiennes. On parle de six fois plus. »

Cela ne signifie pas nécessairement qu’il y a plus de crimes liés à la santé mentale au Québec. « On utilise possiblement plus souvent ce verdict-là au Québec dans nos tribunaux », souligne-t-elle.

Le fait que le système de justice pénale soit de plus en plus utilisé comme levier pour accéder à des soins a des conséquences : coûts importants, organisation réactive des services et lourdes conséquences personnelles pour les personnes impliquées, leurs proches et les victimes, conclut Anne Crocker.

« Ça joue sur le volume que les commissions d’examen des troubles mentaux ont pour le suivi », résume la chercheuse.

Par ailleurs, 71 % des personnes déclarées non criminellement responsables étaient connues des services de santé mentale dans l’année avant le délit, dévoile la chercheuse. On estime qu’une personne sur cinq commet l’infraction dans la semaine suivant un contact avec les services de santé mentale, souvent aux urgences.

À travers le pays, la majorité des personnes déclarées non criminellement responsables le sont pour des affaires de menaces ou de voies de fait. Les membres de la famille des accusés demeurent les premières victimes de ces actes de violence.

Manque de suivi

Une statistique qui en dit long : 58 % des personnes déclarées non criminellement responsables n’ont pas bénéficié d’un suivi adéquat dans l’année précédant l’acte criminel.

Les personnes identifiées comme non criminellement responsables sont nombreuses à avoir eu des contacts irréguliers avec le système de santé pour leur santé mentale. Les données colligées par la chercheuse Anne Crocker et son équipe montrent que des interruptions de services ont souvent lieu quelques mois avant le délit.

« Par exemple, plusieurs patients ont reçu leur congé d’une hospitalisation psychiatrique sans qu’un rendez-vous de suivi ait lieu par la suite », note Mme Crocker dans un résumé de sa recherche présentée à MKamel.

Ces périodes où l’individu n’est pas pris en charge peuvent mener à des épisodes de décompensation pendant lesquels ont lieu les délits, souvent peu après une tentative d’obtenir des services aux urgences, conclut la chercheuse de l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel.

Une grosse partie de la prise en charge et des soins est souvent reléguée aux familles, soutient d’ailleurs l’experte.